Chez Tiasci et à La Dynamo : deux chroniques hantées par Ornette (Etienne Brunet)
Article publié dans le groupe JAZZAPARIS sur FaceBook
Ornette, évidemment, son absence béante.
"On devait déjà à Etienne Brunet une chronique très sensible d'un concert de Tripes au Souffle Continu.
Cette fois, il reprend le clavier pour parler de deux concerts, l'un le jour même de la mort d'Ornette (le 11, "qu'est-ce qu'on fait ?") chez Tiasci, l'autre le lendemain (le 12) à la Dynamo."
* BORDEMALHERGODETBRUNET
(Jean Bordé (b), Matthias Mahler (tb), Jean-Brice Godet (cl), Etienne Brunet (sax))
* Sarah Murcia "Never mind the future"
(Sarah Murcia (voix, b), Olivier Py (sax), Gilles Coronado (g), Franck Vaillant (dr), Benoît Delbecq (p) + Mark Tompkins (voix, danse))
Onze juin à Tiasci Music. Dans l'après-midi, coup de téléphone.
Je demande à Jean-Brice Godet à quelle heure on joue ce soir ?
Il me répond : « putain Ornette est mort ! »
Je me suis toujours demandé ce que je ferai le jour de la mort d'Ornette Coleman.
J'ai dit « ah merde qu'est-ce qu'on fait ? » Il m'a répondu qu'on allait jouer !
C'est vrai, quoi faire d'autre ? J'étais là, dans le rue comme un con avec mon i-Phone de merde complètement tactile.
J'ai pleuré, mais seulement une heure après. Mon œil droit a commencé à mouiller puis le gauche. Il m'aura fallut une heure pour décoder l'information et passer du numérique virtuel à l'analogue réalité. Je ne joue presque plus jamais en concert et ce soir, le soir de la mort d'Ornette, je doit jouer ! DAMNED !
Groupe réuni par Jean Bordé à la contrebasse avec Matthias Malher au trombone, Jean-Brice aux clarinettes et moi-même au saxo alto. C'était super. La musique était sublime, de la free music à l'ancienne dans un style émotionnel et virtuose d'il y a 30 ans. Impossible de jouer mal le soir du décès d'Ornette ! Pas d'enregistrement, pas de photos, pas de vidéos pas de fil d 'actualité. On ne peut être juge et parti. Vous n'étiez pas là mai moi j'y étais ! Le vrai virtuel contemporain c'est l'art non médiatisé par un objet matériel. On ne va pas se faire chier à faire un disque. Coté public : quasi personne à part un bon copain.
Le quartier était bouclé par les flics. Les rares visiteurs s'étaient fait refouler. Les autres avaient renoncé à cause d'alerte à la bombe dans le métro. Les migrants sans-papiers en pleine manifestation s'étaient réfugiés sur le pont de la rue de l’Aqueduc menaçant de se jeter sur les rails de la gare du Nord. Un camion de pompier avait monté la grande échelle pour essayer de récupérer les récalcitrants en équilibre sur le pont à 100 mètres de la salle du concert. Autant dire qu'ils en avaient rien à foutre de VIVA EL FREE JAZZ. L'ambiance était à la fois glaciale et bouillante comme les soirs de révolution invisible.
Ce soir Papa n'est plus là ! On fait bière et pizza. Putain je hais la mort !
Douze juin à la Dynamo de Banlieues B.
Est-ce que la musique est un son, un concept ou une succession de notes ? Un son, un timbre affranchi de guitare électrique, infra basse dans le bide, batterie saturée. Un son énorme et bruitiste au timbre complexe proche de la musique contemporaine. Ou alors une jolie mélodie cachée dans la gangue hurlante du Punk. Ou alors la musique est une structure conceptuelle qui enregistre une époque avant d'être enregistré par elle. Une abstraction de signes qui rappelle une époque : celle du NO FUTURE des trentenaires d'il y a 30 ans.
Maintenant je suis 60, hein ! Une chronique sert essentiellement à parler de soit et non du groupe auquel elle est censée s'adresser. Réfléchir à la musique, le lendemain de la mort d'Ornette Coleman, c'est l'autoroute pour l'égo. Pour un peu, je me jetterai d'un pont pour m'accorder avec ma pensée mais je ne l'avait pas fait il y a 30 ans, ce n'est pas maintenant que je vais me lancer dans le DEAD.
Il y a 30 ans c'était NO FUTURE et le projet de Sarah Murcia nous le rappelle, jeunes et vieux peu importe. Ce n'est pas un projet politique, c'est un projet musical : qu'est ce que vous foutez bande de nullards ramollis du bulbe ? C'est quoi le futur maintenant pour toujours ? Hein. Une relecture subtile des Sex Pistols est forcement une réflexion sur l'ex-présent actuellement fermé pour travaux. Tout le monde se tient à carreau, pas de Pogo quand papa n'est pas là ! Les Pistols jouaient comme des pieds mais ils avaient la haine au ventre. La révolte fait des miracles. Ce soir le « No Future Cover » était joué par l'efficace groupe « Caroline » de Sarah Murcia, contrebasse et voix avec Olivier Py saxophone abstrait, Gilles Coronado guitare déchirée, Franck Vaillant batterie sur-vitaminée. Plus l'excellent danseur Mark Tompkins disant les paroles des Pistols en sprechgesang rock and roll et Benoit Delbecq au piano. Il offrira en coda une splendide version de « My Way » style retour à l'envoyeur avant de mourir dans l'éternité.
par Etienne Brunet
Ornette Coleman by Antonio Montanaro