Tikkun - the 24 doors ; Yoram Rosilio 6tet
Musiciens
Andrew Crocker (tp), Jean-Michel Couchet (as, ss), Florent Dupuit (ts, fl, piccolo), Benoît Guenoun (ts, fl), Yoram Rosilio (b), Rafael Koerner (dr)
L'enregistrement comporte une suite "Selikhot" de 7 pièces jouées en continu et une 8e, Amidah.
Selon Yoram Rosilio, cette musique s'inscrit dans une double filiation : le free jazz et la liturgie sépharade, plus exactement celle des juifs du Maghreb. Après ses explorations assez fantastiques de la musique Gnawa du Maroc (lire chroniques "ARBF & Hmadcha" et " ArBf & HmAdCHA - Live 2013 - Dhöl Le Guedra"), Yoram Rosilio poursuit ainsi cette fouille culturelle de ce qui le constitue.
Le free jazz jaillit effectivement, avec verve, de cette musique mais lors d'une première écoute, j'avais plutôt raté la dimension liturgique. Est-ce d'ailleurs indispensable ?
Recherche d'informations (ma culture immédiate est assez étroite)(ceux que cela indiffère pourront sauter les lignes entre les 3 tirets ---) :
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Tikkun pourrait signifier "réparation" au sens où je serais redevable à d'autres du tort que j'ai causé. C'est le sens même du Kippour.
Les Selikhot seraient des bénédictions, des chants, lors des 40 jours qui précèdent ledit Kippour. Elles concernent les sept premières pièces du CD.
Amidah ferait partie du rituel quotidien ... mais il est silencieux ! C'est la 8ème, et peut-être la plus belle pièce de l'enregistrement.
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Ce background culturel n'éclaire pas nécessairement l'écriture musicale.
Peut-être alors faudrait-il faire référence à la manière dont ces bénédictions sont chantées, traversées de contretemps, d'improvisations individuelles bien loin de la perfection des chœurs de la liturgie catholique ou orthodoxe. Ou encore, les couleurs, les accents ...
Mais ce qui saute aux oreilles, c'est d'abord une rythmique puissante, irrépressible, et véritable poumon mélodique du 6tet : Yoram Rosilio et Rafael Koerner. Vient s'y mêler souvent un picolo entêtant, obsédant comme pour Book of Life Book of Dance qui est structuré autour d'une ligne de basse simple (7 notes) et répétée.
Puis les cuivres avec une place spécifique pour la seule trompette, celle d'Andrew Crocker, à la sonorité éclatante et souvent éraillée, un peu canaille. Les trois saxophones, flûtes etc. offrent souvent un chœur, (aux accents parfois Ellingtoniens), ou un écrin pour un souffleur soliste, ou enfin se déchaînent dans des improvisations folles, débridées, sauvages, superbes. Jean-Michel Couchet, Florent Dupuit (deux complices de Ping Machine) et Benoît Guenoun.
Évidemment, on songe à un grand ancien. Cette jubilation musicale, ce plaisir de l'improvisation collective autour de trames, de règles précises, d'arrangements très écrits, c'est la manière d'un Mingus, comme s'il s'échappait des limbes pour croquer la vie avec gourmandise, pour rattraper goulûment le temps perdu.
Peut-être seulement.
Car force est de reconnaître enfin que c'est purement Rosilien que cette utilisation assez magistrale, chatoyante de ces formations intermédiaires, que ces jaillissements free, fous, festifs.
Des séquences de quasi-fanfares comme déjouant toute tentative de contrôle (anenou, rahoun va hanoun). La suite, Se Likhot, se termine en apothéose avec all joy far from us ... , la pièce la plus longue, à la fois la plus fouillée et la plus débridée, formidablement lyrique (qui est au sax lors du 1er solo ? Benoît Guenoun, rejoint par JM Couchet), sauvage, une sorte de grande synthèse .
Et ce final ! Amidah, les 18 bénédictions. A la fois grande fête du free (et des cuivres) et accents effectivement sépharades. Yoram Rosilio nous a déjà familiarisé avec ces grands télescopages de traditions musicales, s'ingéniant (à raison) à trouver des racines communes. Ce thème (qui n'apparaît pleinement que vers la 10ème minute, d'abord à la contrebasse) distille une intense puissance émotionnelle, nostalgique, une sorte d'hymne d'un peuple disparu.
Et, quand vient ce qu'on pense être la fin, on s'étonne. Un grand silence (peut-être cette fameuse prière silencieuse) puis reprise du thème , cette fois chanté-déclamé d'une voix cassée, éraillée, peinant à émerger, comme rescapée, comme venue d'encore plus loin du fin fond de l'histoire, bouleversante.
Un très grand disque, bien évidement. Achetez-le. Offrez-le. Mettez-le sur vos machins électroniques mobiles et évadez-vous.
PS : Tikkun sera sur scène le mercredi 16 décembre, 20h30, Médiathèque Jean-Pierre Vernant , 01 72 84 62 96
9 place des Martyrs de Chateaubriant, Chelles
"Tikkun est un sextet proposant une composition élastique où se mêlent plages de jeu collectif et trous noirs d'improvisation....Cette composition s'alimente d'un matériel orientalo-judéo-néoanderthalien puisé dans certaines lamentations séculaires..."
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