cd cover Traces

A la fois fasciné et réservé à l'évocation de racines aux terreaux lointains, de cultures éradiquées par la haine collective, de destins déchiquetés dont il faudrait chercher des traces à partir d'indices ténus et illusoires ou de parcours parallèles au risque de voir s'ouvrir des béances dans ce qui pourrait pourtant être un héritage commun. Un exemple de ce dernier type de rencontre avec Gaguik Mouradian. Une trace déjà, lors d'un concert à La Java (février 2012). Ne pas relire les mots d'alors, pas tout de suite, pour dégager l'écoute d'aujourd'hui .

De cette écoute, une impression prévaut : une écriture précise et dense. Des musiciens qui font corps avec le projet.

"Poussières d'Anatolie". Une rythmique obsédante pour ouvrir le chemin d'une voix tourmentée au soprano. Une Anatolie de poussière mémorielle, à l'opposé de l'exhortation à se mettre en chemin, à prendre les routes mortelles puisqu'il n'y a pas d'autre choix, à dire le rôle des femmes (Elmone, la tante ? Bouleversante Géraldine Keller en tragédienne ). Et la persistance de la culture musicale contemporaine d'Europe occidentale. Une sorte de raccourci de la trajectoire de cette suite.

Et cette "Route de Damas". Un rythme enlevé, tout de brisures qui font penser à M'Base, des lignes mélodiques exigeantes ... et à mi parcours, comme un cassure, des fragments comme des nuages déchirés, épars, des touches instrumentales isolées, une forme d'impressionnisme musical très sobre, avec quatre notes répétitives en arrière plan. Oui, quelques arabesques vocales, mais plutôt des esquisses, comme suspendues. Un moment de pure sensibilité.

Les "Lumières de l'Euphrate" sont d'abord celles de l'archet du compositeur, une forme d'aube, avant que l'orchestre (comme le soleil) occupe tout l'espace. Puis un dialogue Corneloup - Marguet, le lyrisme bouleversant de l'un, les frappes détachées, implacables de l'autre, l'intensité grandissante. Puis un duo baryton-contrebasse impressionnant, le sax ténor puis tout le groupe avec un long poème chanté-déclamé par Géraldine Keller (l'Euphrate mangeurs hommes, l'Euphrate noir), un duo inspiré Deschepper - Marguet, puis le groupe. 

Une suite vous dis-je.

Autres portraits de femme, Vergine la grand'mère perdue dans les replis du temps, écrasée par un soleil implacable, ou Antika, la voisine. Dans cette pièce, Daniel Erdmann balaie l'espace d'un solo ample, élégiaque avant que Géraldine Keller projette une voix toute déchiquetée, fascinante par les textures déployées. Le 6tet entame alors un chant répétitif un peu nostalgique et la chanteuse poursuit avec l'évocation d'Antika, chantée, parlée, murmurée, criée.

"Les cieux d'Erzeroum" est peut-être la pièce la plus "orientale" en dépit d'une batterie qui ouvre la pièce par un solo tout de roulements et qui poursuit ainsi, sans faiblir, alors que le groupe la rejoint. A nouveau, une rupture à mi-parcours. Des fragments épars, comme jetés, parallèles, des segments répétitifs, une voix ténue qui s'élève, un chant de tout l'orchestre et un poème sur la misère des hommes envoyés qui à la guerre, qui enchaînés. Un final en reprise de "La route de Damas"

Unité et brisures. Tiraillements de couleurs, influences bousculées. Une superbe suite aux facettes multiples.

Les textes sont de Krikor Beledian ("Seuils", 1997)

Et maintenant, maintenant seulement, lire les quelques mots dudit concert Mouradian-Tchamitchian et surtout voir-entendre les extraits vidéo inclus dans l'article .

Les musiciens :

Géraldine Keller, voix
Daniel Erdmann, saxophone ténor et soprano
François Corneloup, saxophone baryton et soprano
Philippe Deschepper, guitare électrique
Christophe Marguet, batterie
Claude Tchamitchian, contrebasse et compositions

On ne va pas se quitter comme ça ?
Que diriez-vous d'un montage vidéo (réussi !) pour être valdingué par la musique ?



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