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Deux sets sur un même album, le premier à Zurich «Rive de rêve », le second à Lucerne «Luxerna ».

« Rives de rêve », rives du lac de Zurich (ville du concert) et point de départ d’une errance onirique. À l’écoute de ce set, s’est vite imposée l’évidence d’une liturgie payenne. Un culte à une nature d’outre Terre, au foisonnement de formes de vie inédites. Une nature dont il s’agirait de célébrer la lente émergence. Douce et sauvage, aux manifestations multiples.
C’est le discours même des saxophones de Urs Leimgruber (ss, ts) qui nous aspire vers ces lieux. Des sons éraillés ou nasillards, des murmures, des vagissements, des jaillissements suraigüs, des souffles et des percussions, des segments richement stratifiés plutôt qu’un chant pur, ample et continu, tout un kaléidoscope de paysages sonores inconnus et frémissants, des vrilles entêtantes au soprano, des fouaillements profonds, des grognements vigoureux au ténor. Autant de textures, autant de paillettes sensibles pour une incantation à cette nature improbable.
Et comme « metteur en rêve », Jean-Marc Foussat. Qu’il s’agisse de nappes schisteuses, de météorites sonores, de frissonnements de cascades, de sombres vrombissements, de sifflements, de chants lointains, parfois à peine perceptibles, de mécaniques déraillantes, de clochettes jacassantes, il construit tout un édifice protéiforme pour enchâsser le discours de Urs Leimgruber, l’anticiper, le projeter en boucles balayant l’espace. De fait, il construit la cathédrale de cette liturgie avec une science de l’instant, des images, des granulations et des couleurs impressionnantes.

« Luxerna », lumière de Lucerne (lieux du second concert) ou clin d’œil à Ligeti (Lux Aeterna) ou peut-être évocation d’un certain abbé*. Un second concert à la puissance comparable au premier. Murmures et souffles, vents stellaires, aboiements lointains, pluies et ruissellements, balbutiements de l’ère spatiale, cris plaintifs d’une petite bête épuisée, roue rouillée, pépiements entêtés, élégie, stridences, virevoltes éraillées, disque rayé ... Tous ce maelström onirique, ces mécanismes erratiques, ces granulats sonores nous entraînent irrémédiablement tel un puissant courant marin dont on ne ressort qu’éjecté par la fin de la liturgie fantasmatique.

On ne sait rien de l’acoustique des deux lieux. Peut-être y avait-il un ingénieur du son qui projetait en direct sur un acousmonium (orchestre de haut-parleurs) les créations musicales avec une science quasi démoniaque. On peut plutôt imaginer qu’il y a eu un très beau travail de mise en espace pour préparer cet album.

Une réelle plénitude physique à l’issue de quatre-vingt minutes de communion. Un yoga musical.

À noter, un très beau texte de pochette de Franpi

* L’abbé de Luxerna osa prétendre en 1494 face à Colomb que Cuba est une île et non le point de passage terrestre vers la Chine.

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