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Jazz à Paris
16 septembre 2019

Mannyoka: Kaoru Abe (as) et Sabu Toyozumi (dr) (Nobusinessrecords NBCD 107)

 

kaoru abe cd recto image

Il s'agit d'une édition relativement récente (juillet 2018) d’un album enregistré à la fin de la courte vie de Kaoru Abe, en 1978.
Plus de quarante ans après, cette musique sortie de l'oubli est un choc. Dès les premières notes au saxophone alto, on ne peut qu’être saisi par la puissance et l’originalité du discours de Kaoru Abe. Une musique qui nous explose au visage et qu’on ne peut plus oublier. Il s’agit d’un flux éruptif qui pourrait être sans fin, d’une énergie cataclysmique comme si chacun de ses atomes se désintégrait pour libérer l’énergie qu’il contient. AllMusic évoquait une compétition pour savoir quel saxophoniste aura le son le plus abrasif : cette morgue est vraiment hors sujet. Ici, les pâtes sonores sont au service d'un discours qui rejette toute règle, tout conformisme. S’il est toujours intense, il sait prendre bien des formes. On croit repérer un mode de jeu, il est remplacé bien vite. L’intensité proprement tragique est le seul aspect permanent. Kaoru Abe est le Prince Noir de l’alto.
Il a joué le plus souvent en solo et ce duo avec Sabu Toyozumi pourrait confirmer ce tropisme. Ce dernier est certes bien jeune à l’époque, mais il est déjà dans cette ouverture à l’autre. Dans les deux premières pistes, enregistrées en juillet 78, le jeu de Toyozumi est fait de discrétion et d’éclats, conciliant les contraires. Il ponctue, souligne, propose des séquences, pose des taches de couleur sur les torrents impétueux de l’alto. On peut imaginer que ce type de compagnonage n’était pas acceptable pour Milford Graves, déjà vedette (Meditation among us). Ce dernier s’est d'ailleurs très vite débarrassé de Kaoru Abe.
Ce jeu est encore plus évident dans la première des trois pistes du concert de janvier 78, lorsque Kaoru Abe est dans une errance calme et sombre : des frappes éparses, douces, des ébauches de roulements. Quand les sons deviennent suraigües, au début de la deuxième des trois pistes, Sabu prend l’espace sans le moindre déchaînement, tout en frappes discrètes, donnant au saxophoniste l’occasion de revenir pour un dialogue presqu’apaisé. C’est là que le batteur donne l’étendue de son talent de plasticien, de sculpteur délicat de sons. Le discours du sax devient-il plus impétueux que celui de la batterie se fait plus incisif (sans être envahissant). Commence alors une danse infernale et magique entre ces deux artistes d’exception. Tout ce concert de janvier 78 laisse d’ailleurs apparaître l’étendu des registres de Sabu Toyozumi et de Kaoru Abe, tout d’impermanence, d’invention, d’opportunisme, de subtilité, de complémentarité en dépit (ou à cause) de certaines phases hallucinées ou d’une extrême fragilité de l’altiste.
Comment dire ? Un moment rare de musique.

Un extrait ?
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/track/song-for-sakamoto-kikuyo-part-ii
Le son a été restauré par Benjamin Duboc et Julien Palomo, qui a en outre rédigé le livret (en anglais) du CD.

L’album peut être acheté en ligne en version numérique (9$) :
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/mannyoka
ou sur support physique (12€ + 3€ de frais de port) : http://nobusinessrecords.com/arirang-fantasy.html
J’ai acheté le mien au Souffle Continu, 22 rue Gerbier, Paris 11e.

L’écoute d’autres albums de Kaoru Abe, de Sabu Toyozumi, de Masayuki Takayanagi, de Motoharu Yoshisawa, et de bien d’autres, sans oublier les albums du jeune Itaru Oki (les récents aussi) laisse apparaître un espace musical aussi original et puissant que relativement méconnu. C’est la raison même de cette série d’articles, d'autant que Takeo Suetomi (label ChapChap) laisse entendre qu'il a en réserve encore un ou deux enregistrements qui pourraient sortir chez NoBusiness. Cette musique se joue au présent.
La figure de Kaoru Abe a été choisie comme symbole de cette émergence radicale.

Deux chroniques ont été publiées à ce jour, en anglais :
une de Pierre Crépon ici - http://www.pierrecrepon.co/pdf/new_york_city_jazz_record_2019_05_p29.pdf
et l'autre de Nick Metzger là - http://www.freejazzblog.org/2019/01/kaoru-abe-sabu-toyozumi-mannyoka.html
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