Yamashita trio « Ghosts » (West Wind 2050 CD)
Yosuke Yamashita (p) est l’une des figures de cette explosion free des années 60 à 80 au Japon, tout comme Akira Sakata (sax). Ils sont ici en compagnie de Shota Koyama (dm). Il y a plusieurs albums de Yamashita figurant dans la liste des meilleurs albums de cette période , mais j’en ai retenu un autre proposé par Ernst Nebhuth, fin connaisseur de cette scène. Il a été enregistré lors d’un concert en Allemagne en 1977
Le titre de l’album, ainsi que la pièce la plus longue, est « Ghosts », un hommage à Albert Ayler. Reprendre un tel titre est presque sacrilège, et surtout diablement risqué. À tout moment, la mémoire du grand Albert peut venir hanter tout groupe qui s’y risquerait.
Et c’est un peu le cas au début de cette seconde pièce, mais l’exposition du thème, longue, près de quatre minutes, est assez vite parasitée par le trio, en particulier par Akira Sakata. S’il souhaite rendre hommage, il le fait à sa manière. Dès le début de son improvisation, le thème est carbonisé dans l’incandescence de son discours. Près de neuf minutes durant, il va déverser une orgie de phrases enfiévrées. Au détour de son tourbillon, il salue, de loin, Léonard Bernstein. Cette tornade musicale semble pouvoir durer indéfiniment, n’était-ce le risque d’apoplexie du soliste. Le piano tout de martèlements dissonants, et la batterie à la furie dévastatrice aliment continûment cette fournaise. Aux deux tiers de son solo, il fait la bise à Albert puis repart dans ses tourmentes. On sent possible l’accident cérébral quand il se decide à passer le relai à Yosuke Yamashita et Shota Koyama. Il est impossible de parler de solo de piano tant la batterie est omniprésente, insistante. Elle semble propulser le piano, qui n’en avait pas besoin, au risque de l’ensevelir. Des déferlantes de notes, des guirlandes endiablées, des accords plaqués avec violence. Lui aussi vient faire sa bise en cours de route, un peu plus longuement, mais d’une manière plus lointaine. Et quand le piano se fait percussion, la batterie est trop heureuse de lui emboîter le pas. À bout d’énergie, Yamashita se met à crier, à éructer, même à chanter, longuement, au bord de l’extinction de voix. Akira Sakata vient à sa rescousse pour des incantations qui frôlent l’hystérie puis c’est le solo de Shota Koyama. Il ne va pas beaucoup se calmer. Il procède par vagues, longues, comme l’a fait parfois Yamashita. Comme des phrases percussives, un cri venant libérer le batteur. Des salves de mitrailles. L’épuisement arriverait? Juste assez d’énergie résiduelle pour faire revenir le trio et ses folies incontrôlables, son lyrisme délirant. Albert vient enfin à la rescousse pour les ramener tous, comme il peut, à bon port. Un final grandiose.
Ça c’était le second thème. Et le premier, Chiasma, composé par Yamashita ?
Un thème en saccades, en caquètements, qui impulse un phrasé du même type. Évidemment , personne ne s’y tiendra vraiment. Tout juste y reviendra-t-on par moments, au milieu des cascades furieuses du sax, et de la course à perdre haleine du piano. La batterie tente bien de les ensevelir, sans relâche mais sans y parvenir. Au bout de neuf minutes, le piano prend le relai du sax. Un jeu entêtant, des mitrailles de notes acides avant quelques rares accalmies. Hello Georgia Brown, pas le temps de rester. Des réminiscences du thème aussi, mais juste en passant. De grands martèlements du clavier puis le sax revient, en phrases suraiguës en limite de cris, de prières coltranienes avant la reprise finale du thème. Là, on peut respirer.
Pour paraphraser William, c'est un album plein de bruits et de fureurs. Une manière radicale de prolonger le discours d’Albert Ayler, de jeter aux orties le bon goût et la retenue pour dégager une nouvelle expression esthétique.
Fascinant de bout en bout ... et rafraîchissant.
Pas vraiment un hasard : à quelques jours près, c’était l’anniversaire de la mort d’Albert le Grand, le 25 novembre 1970.
Comment se procurer cet enregistrement ?
Sur Discogs au prix moyen de 43€ plus les frais de port. A la Fnac, il est proposé à 36€ plus port.
Il est aussi disponible à l'écoute sur YouTube, mais pas en totalité :
* Ghosts
* Chiasma : il s'agit d'une version live
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Enregistrement : May 23, 1977 at [the 97th] "Jazz in der Kammer", Deutsches Theater, Berlin, Germany.
Digitalisé au OK-Studio Düsseldorf
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