Samuel Blaser, Daniel Humair, Heiri Känzig « 1291 »
Par quelque bout qu’on prenne cet album, c’est un hommage.
D’abord à leur pays, la Suisse, fondé en 1291 par la réunion des trois cantons d’origine. Quatre des quatorze thèmes en sont des références directes : un cantique, un chant traditionnel, un chant Grégorien mais à St Guillaume de Neuchâtel, et « Poya », l’alpage, plus un bonus, « Helveticus ».
C’est aussi une révérence envers les premiers temps du jazz et du blues : King Oliver, Leadbelly, et plus près de nous, Sidney Bechet. Au-delà, c’est une forme de réhabilitation du New Orleans, qu’on néglige aujourd’hui, avec un thème déjà enregistré en 1917 par l’Original Dixieland Jass Band , puis parmi d’autres, par Sidney Bechet et par Kid Ory : « Original Dixieland One Step », joué sur trois pistes et deux bonus. À quand un album de Samuel Blaser ne reprenant qu’un seul thème ? Otomo Yoshihide l’a fait.
Kid Ory présent dans quatre titres ! Les plus anciens se souviendront de ces émissions d’une télévision de service public en noir et blanc, où un amoureux fou d’un certain jazz, diffusait sans relâche des archives de New Orleans et citait ce tromboniste. Ce fou là choquait les bonnes consciences d’alors en mettant des bébés de celluloïd dans des hachoirs à viande. Salut l’ami.
Au-delà des hommages, la musique produite par ce trio a de quoi combler les plus exigeants.
Daniel Humair sait passer de l’accompagnement à l’efficacité redoutable aux ponctuations sidérantes d’à propos, voire à la transcription percussive d’un thème. C’est en particulier le cas lorsque Samuel Blaser vient torturer-célébrer son thème fétiche avec « Ory’s Creole Trombone » : il se régale alors en jouant-hachant ce thème avec ses frappes.
Heiri Känzig impressionne par la qualité du son de sa basse, par sa puissance, ainsi que par sa musicalité . C’est d’ailleurs sur lui que repose le rappel du thème « Where Did You Sleep Last Night » alors que Samuel Blaser en profite pour s’en échapper et aller caresser, frôler, toutes les nuances des timbres de son instrument, le faire sussurer, murmurer. Mais au-delà de ces charmes là, il s’accapare chemin faisant certains phrasés de la musique improvisée, ses jeux sur les sonorités. Il nous régale de ces grands écarts.
Et c’est là, l’un des aspects de la musique de ce trio. L’hommage aux anciens n’exclut pas la modernité radicale. Samuel Blaser profite de ce retour sur Kid Ory, et plus largement sur le New Orleans, pour nous rappeler quel instrument merveilleux peut être le trombone et comment il sait surprendre des oreilles ne prêtant foi qu’aux transgressions, qu’aux sorties de routes, qu’aux chemins de traverse, qu’aux tréfonds métalliques. Il se vautre sur des figures éculées, les growls par exemple, et nous en fait sentir toute la sensualité, leur charme ensorcelant. Plus c’est doux, plus c’est ravageur. Et il chante dans son strument, sur « Belafonte » par exemple : superbes Humair et Känzig mais quel formidable Blaser !
Et de fait, cet album est aussi un hommage au trombone en jazz, une célébration.
Un triple régal donc, chacun des trois musiciens étant d’une virtuosité confondante.
Ne pas bouder son plaisir : cet album sait rappeler certaines des riches heures du jazz sans nostalgie aucune. Au-delà de ces retrouvailles, il souligne que tout est bon pour servir la création d’aujourd’hui. Coltrane l’avait prouvé avec une chansonnette il y a bien longtemps. Samuel Blaser nous le rappelle.
Cet enregistrement est publié sur le label OutNote / Outhere
Pour terminer, un livret numérique (n'oubliez pas de le mettre en plein écran)
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