Bernard Santacruz - Michael Zerang « Cardinal Point » ( Sluchaj records)
Les deux artistes se sont rencontrés lors du festival Banlieues Bleues de 2001, et depuis, ils collaborent au sein du trio Vega (avec Jef Parker (g)). À partir de 2013, on les retrouve au sein du 5tet « Sonic Communion » (avec Joëlle Léandre, JL Cappozzo et Douglas R. Ewart). C’est dire qu’ils ont déjà un parcours commun assez dense.
C’est leur premier album en duo : l’improvisation libre permet ce genre de formation très restreinte, de même que c’est le terreau privilégié pour l’élargissement du vocabulaire, des syntaxes associés à ces deux instruments. Ici, les frottements ne sont pas réservés à Bernard Santacruz; symétriquement les chocs, les percussions ne sont pas le domaine réservé de Michael Zerang. Souvent, ils cultivent la proximité des timbres et l’imbrication des phrase, en semant le trouble chez l’auditeur.
Sur certaines pièces, cette intrication des timbres et des phrases est patente, bien que totalement bluffante. C’est alors à un vrai festival auquel nous sommes conviés, une magie sonore de chaque instant à l’image de « Cardinal Point » ou de « Stay the Course ». Dans cette dernière, cet enchevêtrement évolue progressivement vers des formes plus habituelles, avec des dialogues, certes très serrés, où chacun retrouve ses spectres propres, ses résonances, où les séquences, les ponctuations viennent apporter une forme de respiration.
Parfois on en vient à douter de l’évidence. On dégusterait volontiers « Sand Roses » comme un solo virtuose de percussions, où une houle profonde viendrait nous cueillir comme par mégarde. Mais ces coups de pinceau là, comme des cordes qu’on fait vibrer, qu’on frotterait avec rage, qu’est-ce donc ? S’agirait-il d’interventions très ponctuelles de la basse, moments où elle viendrait au service de la batterie, lui offrant un complément de spectre, de timbres, de phrases confondants. Difficilement décidable à la seule écoute. Prenons le parti du solo, en étant confondu par la science, la malice, la joie évidente d’un Michael Zerang en pleine forme. Une situation symétrique se présente dans « Arlequin » où Bernard Santacruz vient parachever ce trouble. Sur scène, ce doute serait inexistant.
Si Michael Zerang rappelle continûment sa gourmandise des timbres, des strates, des irisations, des oppositions, il sait aussi provoquer ces mouvements irrésistibles du corps, cette danse sans pulsation régulière, ce quasi chant des chocs, des caresses et autres frottements. On pourrait symétriquement dire la même chose de Bernard Santacruz, avec sa dimension mélodique qui affleure dans certaines pièces.
Elle s’épanouit en particulier dans « Nefertari », où un bout de thème est répété d’une manière lancinante, venant vriller nos neurones, chavirer nos noeuds sensibles, et permettant à Michael Zerang de parsemer l’espace de ses lacérations, de ses touches impressionnistes. Une merveille qu’on partage.
C’est à n’en point douter un tandem qui a trouvé sa voie propre, et qui, on peut l’espérer, pourrait être aussi prolifique que celui de Drake et Parker. En attendant de futures retrouvailles, alignons nous sur ce point cardinal, et continuons de savourer ces moments de fête.
---
Retrouvez toutes les chroniques CD etc
—-