Ivo Perelman, Nate Wooley : Polarity (Burning Ambulance Music)
Ils avaient déjà enregistré ensemble dans quatre autres albums dont deux « Strings », « Strings 3 » avec Mat Maneri et « Strings 4 » où Matthew Shipp les rejoint. Cette fois, ils se retrouvent pour un premier duo, sax et trompette, avec des titres à la poésie minimale : Four, Seven A, Two B ... On peut imaginer qu’il s’agit de l’ordre de succession des improvisations lors de l’enregistrement, ce qui n’est pas celui de l’album.
Qu’on ne s’attende pas à des assauts mélodiques, il s’agit plutôt là de profiter d’une large étendue du vocabulaire potentiel de ces instruments pour libérer l’expressivité de nos deux amis.
Ainsi dans « Four », ils jettent des quasi ponctuations, ils propulsent des interjections, ils s’interpellent, la vivacité de l’un accentuant celle de l’autre. Puis ils entrelacent leurs phrases, ils virevoltent, ils se taquinent. Ça caquette en un pseudo rythme; bien évidemment ça se dérègle. Le sax chante des bouts de mélodie en boucle, mimés par la trompette qui finit par les quitter pour des courses effrénées, gourmandes. Ces jeux à deux sont incessants et témoignent d’une vitalité quasi juvénile.
Au-delà de ces interactions serrées, de ces jeux de garnements indociles, de cet humour qui surgit de leurs échanges, chacun d’eux se livre à ses passions : les matières sonores, l’extension ou la transformation du vocabulaire instrumental, les distorsions des phrasés du répertoire, l’expressivité hors des figures convenues.
Par exemple, quand Ivo Perelman se fait langoureux, convoquant même d’amples vibratos , les notes s’étirent, glissent hors des gammes, hors même des douze sons (« Seven A »). Il rappelle les grands maîtres des phalanges ellingtoniennes; il souligne sa révérence à Ben Webster. Mais en grand prêtre d’un syncrétisme musical hors pair, il nous projette dans l’improvisation libre, tout cela au sein d’une même phrase. Il a publié il y a peu une photo de lui (par l'excellent Peter Gannushkin) avec un sax tenor sans clé : l’instrument, c’est alors son corps. Il emprunte à ce sax singulier ses entrailles métalliques, ses timbres potentiels.
by Peter Gannushkin
Inutile de préciser que Nate Wooley se jette sur cette opportunité. cet aventurier impénitent s’inspire des phrases, des trames de son ami, il s’en éloigne aussi,évidemment. Il fouille des fourrés d’épineux de son groin métallique. Il propulse des brouillards de souffles, de quasi bruits blancs. Il percute ses clés. Il se lance dans de furieux assauts tourbillonnants, des stridences, des soliloques obsédants. Il fait chanter sa sourdine, il gronde, il chuinte. Il extirpe des entrailles de son instruments des sons et des notes oubliés par l’académie. C’est un grand gourmand, insatiable, jouisseur.
Pourquoi se priver d’une esquisse de danse ? C’est ce qu’ils nous proposent dans « Two A »
Ivo Perelman est l'un des plus grands créateurs d'aujourd'hui. C'est l'évidence, mais pourquoi ne pas le rappeler ? Il est extrémement prolifique (plus de cents albums), mais chaque enregistrement arrache de nouvelles surprises, de nouvelles séductions. Il nous les faudrait tous. Il aime la compagnie des explorateurs les plus farouches. Cette troisième rencontre avec Nate Wooley en souligne l'importance. Ce dernier se régale, nous régale. Profitons-en.
En guise de second dessert (après Two A), un extrait de l'entretien d'Ivo Perelman par Sammy Stein, à propos de l'impact de la Covid sur lui. En anglais.
"SS: Can you tell me about your work just before Covid-19. How busy were you, and what were you doing?
IP: I had been experiencing a palpable musical growth for the past five years. Just before lockdown and at the start of the Covid-19 pandemic it was exponentially more intense. This was on two fronts: the sheer nature of the music itself due to the deepening growing potential of daily practice routines and the gradual increase in work offers from agents to perform and record labels to produce new recordings..........
SS: Were there times when you felt uncertain of what was to come?
IP: When confronted with the degree of social isolation the situation called for I wondered what my life would be like and for a minute I got a bit disheartened but soon I realized that in fact I had spent my entire life up to that point already practising voluntary social isolation considering the uncountable hours spent alone practising music. So I just decided to keep doing more of what I knew how to do and loved: play the saxophone.......
SS: How did you continue to be creative during lockdown?
IP: After having laryngeal medical issues some ten years ago from playing the super altissimo sax range, I had to find ways and materials to expand my understanding of sound production. This led me to a deep study of Bel Canto (opera) techniques. With the now available time......"
these are excerpts from the full interview, which you can find, along with 17 others from stellar musicians in the book.
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