When The Time Is Right : Roy Campbell, John Dikeman, Raoul Van der Weide, Peter Jacquemyn, Klaus Kugel (577 Records)
C’est un album enregistré au Bimhuis d’Amsterdam en 2013. Un an plus tard, le trompettiste Roy Campbell nous quittait. Ce groupe n’a eu le temps de jouer qu’une seule fois, celle-ci.
Au delà de l’émotion, du témoignage, écoutons cet enregistrement pour ce qu’il est, un condensé d’énergie créative, et cela dès le tout début.
Les deux souffleurs propulsent d’emblée leur discours. John Dikeman nous gratifie d’un chant ample, véhément, vibrant, lyrique, parfois éraillé voire aux limites de l’extinction de voix, dans un free débridé. Celui de Roy Campbell est fait de stridences, de salves quasi percussives ne négligeant pas les suraigüs, de vrais geysers à l’enthousiasme juvénile intact. Ils dialoguent, bousculent, propulsent un jazz à haute énergie comme pour nous rappeler que cette cavalcade musicale insensée était née sur leurs terres, qu’ils en ont été nourris de tout temps.
Les trois européens de ce qu’il est convenu d’appeler la section rythmique, soulignent quant à eux la prise de guerre que constitue ce free. Ici, pas de piano, mais un Raoul van der Weide passant du violoncelle aux percussions, venant accentuer la pression exercée par les deux autres, aux frontières de l’asphyxie du public. C’est, en effet, une sorte d’avalanche de chocs et de cordes, déboulant sans frein, sans échappatoire possible.
Lorsque Roy Campbell laisse la parole au seul sax, Peter Jacquemyn se précipite pour emboîter les pas de l’autre soliste, dans une fournaise de cordes pincées, avec une énergie communicative. L’archet du violoncelliste vient en effet s’y mêler avec des mouvements cinglants, qui lacèrent la frénésie du sax. Klaus Kugel lâche ses frappes sur les cymbales, habite tout l’espace, libère ses éboulement rocailleux.
En embuscade, la trompette piaffe d’impatience, se retient à grand peine puis prend le relai, se jette dans cette fête, faisant un grand pont entre tradition et liberté.
Les deux cordes profitent d’un relatif répit pour s’offrir un espace pour eux seuls, tumultueux, à coups d’archets, dans une danse enfiévrée, parfois ponctuée de petites percussions.
On retrouve cette fournaise section rythmique-souffleur lorsque Roy Campbell choisit le bugle. C’est alors un chant sombre, tourmenté, venant fouiller les entrailles du métal, avant le retour du sax, de ses pépiements, de ses stridulations, de ses obsessions, parfois teintées d’un vague blues cisaillé par l’archet de la basse. Les deux cordes se rejoignent pour une séquence intense, puis les suraigüs du sax reviennent, ainsi que les déferlantes des peaux, du métal, et finalement la trompette s’invite pour une grande fête éruptive avec cris, voix, sifflements, grondements, ébauches de citations, phrases exténuées …
Le groupe a lâché tout ce qu’il avait, la fête s’achève, le public exulte. Cet enregistrement a fixé ce moment de joie incroyable dont le jazz vivant a le secret.
L’album paraît le 22 octobre 2021. En attendant, un court extrait est disponible à l’écoute.
Musiciens : Roy Campbell (tp, bugle, fl), John Dikeman (sax), Raoul Van der Weide (vlc, perc), Peter Jacquemyn (b, voix), Klaus Kugel (dm)
577 Records [1], label basé à Brooklyn et co-fondé par Daniel Carter, célèbre ses vingts ans cette année. Il a déjà publié un précédent album avec Roy Campbell en très belle compagnie : Daniel Carter, Sabir Mateen etc [2]
[1] Site de 577 Records https://www.577records.com
[2] Test and Roy Campbell https://www.577records.com/5819
Roy Campbell
May 3, 2013 at Bimhuis, Amsterdam, Netherlands. Photo by Geert Vandepoele
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