Noël Akchoté 5tet "KCS"

Noël Akchoté est très prolifique. Ayant choisi de publier la majorité (la totalité ?) de ses albums en tant que leader sur la plateforme Bandcamp, il nous régale plusieurs fois par mois d'un nouvel enregistrement numérique .

Dans cette abondante production, j'avais déjà été accroché, entre autres, par un duo avec Mary Halvorson à Strasbourg (lire chronique Citizen Jazz à propos d'un autre album du duo) .

Il retrouve cette "sœur en crime" au sein d'un 5tet de haute volée comprenant Joachim Badenhorst (cl, bcl, ts), Brad Jones (b) et Han Bennink (dr) lors d'un concert du festival Banlieues Bleues (7 mars 2017 à La Marbrerie). C'est l'enregistrement de ce concert qui fait l'objet de l'album KCS (Ecoute sur Bandcamp), hommage aux enregistrements du Kansas City Five, Six, Seven de 1938 à 1944.

Ces enregistrements d'alors marquent les premiers temps de la guitare électrique en jazz par Eddie Durham, suivi un an plus tard par Charlie Christian. KCS 5 comptait aussi Buck Clayton (tp), Freddie Green (guitare acoustique), Walter Page (b) et Jo Jones (dr), des musiciens de l'orchestre de Count Basie. Le KCS 6 accueillait Lester Young au ténor mais aussi à la clarinette. La grande époque du swing. (chronique de allmusic)

On sait Noël Akchoté parcourant sans contrainte des années, des décennies voir des siècles de musique. Faire de même avec des pays, des continents, des cultures différentes, pour créer des musiques radicalement neuves. Forme d'invitation à la curiosité permanente.

Cette fois, c'est le swing aux mille feux, brillant dans une époque sombre et terrible, qui vient entrelacer un free jazz sans concession . C'est l'apparente proximité entre thèmes d'alors et compositions contemporaines, due semble-t-il à un gros travail de composition, d'arrangements, à l'image par exemple du 1er thème ... "KCS Blues".
Une pièce d'Akchoté qu'on imagine connaître depuis des lustres, toute en lignes aux notes qui dérapent délicieusement mais sur une ligne de basse implacable. Un superbe solo guitare bluesy et acidulé (Noël Akchoté, avec des banderilles de Mary Halvorson). Un vibrato au ténor qui réconcilie le swing, Coltrane et Ayler (Joachim Badenhorst époustouflant). Un super duo Brad Jones - Han Bennink "in the tradition" ... y compris au sens d'Alan Silva. Et cette jouissance musicale retrouvée .

À l'image de cette pièce, aucun des cinq musiciens de cet enregistrement n'est en retrait, même relatif. Ils ont été choisis avec soin par un Akchoté orfèvre. La complicité avec Mary Halvorson est une nouvelle fois évidente. Joachim Bardenhorst est impressionnant de lyrisme contenu et d'inventivité parfois rugueuse. Faut-il encore évoquer le maître des baguettes qu'est Han Bennink, présent ce soir là en dépit du décès (le 3 mars) de son ami et grande figure du free jazz européen, Misha Mengelberg. Enfin, un Brad Jones puissant à la basse, cordes pincées ou frottées, auquel on doit de nombreux et superbes solos, doté un sens aiguisé de l'intervention

Avec "A smooth one", un thème de Benny Goldman et Charlie Christian, le balancement est implacable, le chant est fidèle aux canons du swing au point d'évoquer le compositeur, le vibrato vient ajouter une touche de nostalgie, alors que les notes acidulées sont réservées aux guitares... Et on ne sait plus où on est. Cet entre deux nous chavire encore plus quand le chant se fait éraillé, tourmenté, étranglé, quasi désespéré. Une merveille.

"La vie en rose" est évoquée en délicate déconstruction, totalement bouleversante, un mix de tachisme et de cubisme musical, avant un solo de guitare enlevé, enjoué, quasi bluesy (Mary ?) pour enfin retrouver le thème "éparpillé façon puzzle" (Audiard)

J'ai choisi d'évoquer un thème, KCS Blues, composé pour l'occasion, un standard swing et une chanson d'Edith Piaf pour illustrer à travers ce zigzag spatio-temporel la cohérence esthétique de cet album et son extrême sensibilité. Et cette joie de jouer, ensemble.

J'écris ces lignes en écoutant en boucle l'album, et me voilà violemment pincé au coeur, une nouvelle fois, par "Goldsbury-I've found a new baby". Un très grand bonheur d'écoute.

Le "et en même temps" faisant actuellement florès, je vous épargnerai une nouvelle description de tout ce mix de plaisirs, d'inventivité, de références.
En somme, une autre manière que celle du grand et cher Archie de re-parcourrir, de re-créer ces musiques qui nous ont tant donné, de leur déclarer notre indéfectible amour.

Cet album est en écoute libre sur Bandcamp, mais vous pouvez aussi l'acheter (11,99€). Pour ce prix là, l'album est téléchaergeable en très haute définition, agrémenté de documents en pdf (notes, graphismes, photos ... et partitions).

Pour finir, une photo qui à tout à voir, due (comme les autres) à Nikola Cindric .