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Jazz à Paris
13 septembre 2021

Jim Baker, Bernard Santacruz, Samuel Silvant : on how many surprising things did not this single crime depend ?

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Un titre d’album à rallonges et des noms de pistes comme des fragments d’un discours, cela peut surprendre, et conduire à fouiller. Il s’agit d’un extrait de « L’esprit des lois » de Montesquieu. 

«L’histoire de Constantinople nous apprend, que sur une révélation qu’avait eue un évêque, qu’un miracle avait cessé à cause de la magie d’un particulier, lui et son fils furent condamnés à mort. » [1]. À vous de poursuivre la réflexion. C’est une plongée dans les temps anciens à la lumière des temps présents, avec Montesquieu comme fanal.

On retrouve cet effet de miroir au plan musical, avec comme marqueur, le recours au piano par Jim Baker. Sur les pièces impaires, nous replongeons dans les chatoiements de merveilles d’autrefois, celles du trio canonique piano-basse-batterie sublimées par certains.  Paul Bley est parfois cité. Mais pourquoi est-ce Bill Evans qui me vient à l’esprit ? Peut-être pour le rôle de la basse, peut-être aussi en raison du titre de la dernière pièce, « [solar] ».

La magie opère encore à plus d’un demi siècle de distance. Le clavier pudique ou tressant des guirlandes délicates, les balais qui caressent, les promenades sur les peaux, ou les roulements qui apportent le « pain » cher à Art Blakey, la basse ronde et profonde : c’est une plongée nostalgique dans la séduction mélodique immédiate, dans les couleurs, sur les crêtes sensibles que seul le jazz d’alors pouvait exhiber. La basse alterne ponctuations et jeu soliste, en rupture avec les pratiques antérieures de l’époque. 

Mais rien n’est simple, tout se complique, disait un philosophe du siècle passé [2]. C’est que la 3ème pièce, « qu’elle fut véritable », s’ouvre avec un Bernard Santacruz omniprésent, diffusant des fragrances sombres et percussives d’aujourd’hui. Une sorte d’entre deux cultivé aussi par les frappes discontinues, chaotiques de Samuel Silvant, le piano apportant des gouttelettes de lumière avant de circonvenir la basse. Savoureux.

Sur les pièces paires, le clavier électronique (ARP 2600) apporte ses brouillards, ses convulsions, ses émergences contrariées, des atmosphères bien étranges aux regards d’alors. Les baguettes cliquettent, musardent, les cymbales griffent d’une manière erratique, la basse ronfle, frissonne, sort de toute métrique, déploie des résonances ou des lignes acides. « qu’il y eu de la magie » s’amuse de ce pied de nez.

Ainsi, c’est un jeu quasi cinématographique de champ-contrechamp, un changement de focale destiné à nous faire savourer les splendeurs d’alors et celles en devenir, plus actuelles, lorsque nos oreilles auront progressé dans leur apprentissage (mais c’est déjà bien avancé), les permanences et les ruptures, sans exclusive. Un délicieux ping pong esthétique.  Album paru chez Juju Works.

Peu d’extraits en ligne, deux en fait, une pour chacune des facettes. Optons pour « que la magie pût renverser la religion ». Tout un programme !

 

[1] Montesquieu L’esprit des lois https://fr.wikisource.org/wiki/Esprit_des_lois_(1777)%2FL12%2FC5

« De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendait-il pas ? Qu’il ne soit pas rare qu’il y ait des révélations ; que l’évêque en ait eu une ; qu’elle fût véritable ; qu’il y eût un miracle ; que ce miracle eût cessé ; qu’il y eût de la magie ; que la magie pût renverser la religion ; que ce particulier fût magicien ». 

C’est l’engrenage d’un procès fou, conduisant à un double crime. Mais toute la page mérite lecture. 

[2] Sempé

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