"Un Musicien Rhizome" (par Pascal Marzan pour Simon H. Fell)
English version below, under the video
Simon Fell,
je me rappelle le jour de notre rencontre à Londres, le 7 mai 2007 lors du festival Freedom of the city, au Red Rose, un « Comedy Club » qui accueillaitentre autres le Mopomoso de John Russell et le London Improvisers Orchestra. Cette édition du festival aujourd’hui disparu a été enregistré par la BBC pour le programme Jazz on 3.
Ce jour là, j’étais invité à jouer un solo, le seul solo du festival, alors que j'aurai aimé jouer avec tant d'autres présents ce jour là comme John Russell, Ute Wasserman, Chris Burn, Philipp Wachsmann, Alex Ward, Dominic Lash, Hannah Marshall, Javier Carmona, Paul Rutherford, Marcio Mattos, Veryan Weston, Evan Parker, Agustí Fernández,John Edwards, Eddie Prévost … Musiciens qui devinrent pour certains des amis proches, des compagnons de jeuainsi que des invités du Festival R de Choc à Paris que j’organisai avec Catherine Karako.
C’est Jean-Michel Van Schouwburg qui me présenta. Adossé au mur du fond de la salle du Red Rose près de sa contrebasse, le sourire aux lèvres, heureux de la musique que tu écoutais avec une grande attention, heureux des séances d’enregistrement que tu venais de réaliser avec certains des musiciens présents ce soir là.
Je me rappelle de notre conversation, de mon étonnement sur ses choix de vivre en France, d’apprendre et parler français alors que nous évoquions, dans un éclat de rires, la grande rareté de nos concerts, de nos invitations à jouer en France et de la nécessité de venir à Londres, au Royaume Uni et vers d’autres pays pour enfin jouer et rencontrer des compagnons de jeu.
J’étais triste et révolté que tu ne sois que très rarement invité à jouer en France.
Mais ce qui te motivait essentiellement était ton Label Bruce’s Finger, tes compositions et tes rencontres avec les musiciens.
Ce soir-là nous nous sommes quittés avec la promesse que je t’inviterai à jouer à la première édition encore en cours de préparation du festival R de choc…
Simon me fit l’amitié, la joie et la générosité de venir jouer à quatre éditions du festival. Amitié et générosité que me firent aussi les autres musiciens qui vinrent jouer aux différentes éditions.
La première édition qui eut lieu le 6 et 7 juillet 2008, à l’image des Companies de Derek Bailey, recevait Steve Beresford, John Russell, Roger Turner, Philipp Wachsmann et côté français, Dan Warburton, Michel Doneda, Jean Bordé, Bertrand Gauguet, Hars, Simon Fell, Catherine Karako et moi.
Je me rappelle la gentillesse, la discrétion, la confiance de Simon et de son enthousiasme à jouer avec des musiciens qu’il ne connaissait pas encore, son exigence et son intégrité musicale et humaine.
Simon était un musicien rhizome, un musicien pluriel, à la pensée-rhizome et dont la première langue est la musique, les sons et les rythmes. Ce rhizome par opposition à la racine unique dont Edouard Glissant dit à la suite de Deleuze et Guattari « La racine unique est celle qui tue autour d’elle alors que le rhizome est la racine qui s’étend à la rencontre d’autres racines. »
Cela s’entend lorsqu’il joue, improvise ou compose.
Toujours à l’écoute, parfois précédant le jeu à venir vers des territoires encore inexplorés et entraînant les autres avec lui ou bien les accompagnant dans l’aventure en offrant de la profondeur de champ.
Parfois presque silencieux lorsqu’il perçoit la fragilité de certains instants et s’effaçant lorsqu’il sent que la musique jouée à cet instant ne nécessite rien d’autre.
Avec Simon une mélodie, un chant peut se transformer en sons texturés, bruits ou bien surgir de grincements, frappes. Aucun espace, aucune direction, aucun jeu ne sont interdits.
C’était un compagnon de confiance, un musicien rare à tous points de vue.
Sa discrétion tout comme son refus de jouer lorsque la musique et les musiciens étaient dévalorisés n’ont pas permis à ce qu’un musicien aussi exceptionnel et d’une telle envergure comme Simon H. Fell soit davantage programmé en France. Par manque de curiosité, de connaissance ? Par esprit de chapelle pour un musicien archipel ?
Heureusement, il nous reste ses disques, de rares films en concerts et des archives du festival R de choc restées en France et que j’espère pouvoir publier un jour.
Alors...au revoir Simon ! prononcé en français comme il aimait qu’on l’appelle dans son petit village de la Creuse à Teillet, St. Dizier-Leyrenne.
Londres, le 10 août 2020
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