Cuir (Fou CD 08)
Un pur jaillissement ! Une vitalité bluffante ! Un irrespect des canons du "beau". C'est ce que se disaient les assoiffés d'alors du jazz, gavés pourtant de purs joyaux hard bop (ou de frissons transgressifs monkiens ou mingusiens) ... et découvrant le free.
On pourrait croire que le temps n'est plus à ces fulgurances, au point de préciser en exergue d'une fête que le jazz n'est pas mort.
Mais comme toujours, la vie pousse, fait craquer la gangue recuite.
A l'écoute de "Cuir", les mêmes mots surgissent. Un pur jaillissement ! Une vitalité bluffante !
L'irrespect ? Non, pas vraiment, mais sûrement l'absence de tout complexe : chacun des musiciens va puiser dans ses palettes mémorielles, ses dernières trouvailles sonores, et propulser ses éclats vers des collisions aux effets incertains.
Une vitalité irrésistible qui s'impose dès les premières notes. Pluie percussive et clusters au piano, unissons acides aux vents, une basse qui déboule, bouscule, ravage tel un sanglier pourchassé : une vraie déflagration que ce premier thème, "Epidermologie".
Changement de cap lors du deuxième thème, "Echarnage". Un moment comme suspendu. Une ambiance de matins calmes, où la musique s'éveille, s'étire, grince un peu, craquelle. Frappes sur bois (piano ? contrebasse ?), grondements d'archet, trilles de souffles (trompettes), une clarinette lançant ses tourbillons de notes, des ébauches de chants. Une abstraction expressionniste.
Paysages semblables avec "Satch ko", peut-être plus sauvages, plus mystérieux : des souffles, des sons murmurés, enroués aux trompettes, un superbe chant crépusculaire à la clarinette, des sons comme échouant à s'extraire, une note en pivot
Une "Peau de chagrin" en ébullition lente, un peu timide, hésitante, avant le signal du piano. Puis tout semble se libérer progressivement, une musique désarticulée, véhémente, le piano tantôt percussif, tantôt déferlant . Des moments d'exubérance aussi, incontrôlables, proprement mingusiens, une basse aux cordes qui structurent avant que de prendre toute la place.
La pièce principale, "Tartare", est secouée de plusieurs vagues de clusters, de jaillissements erratiques et denses, avec en déclencheurs, des chants de la clarinette (torturée, chantournée ou timide). Un maelström collectif d'où surgissent des geysers dans une nappe magmatique au piano et à la basse, des cornes de brume véhémentes, des claquements. Enfin, tout s'estompe et trouve l'apaisement.
Une réussite! En douteriez-vous? Un de ces enregistrements qui vont éclairer l'année, et plus si affinité.
John Cuny (p), Jérôme Fouquet et Nicolas Souchal (tp), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Yoram Rosilio (b), des musiciens qui s'installent dans notre Panthéon intime.
Enregistrement les 6 & 7 juillet 2014 chez Ackenbush.
Une nouvelle pépite de Jean-Marc Foussat et de son label, Fou Records (Fou CD08)
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