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Jazz à Paris
10 septembre 2019

Kaoru Abe « Acacia No Ame / Live vol.1 » Tokuma TKCA71096 (par Michel Henritzi)

Kaoru Abe Acacia no ame

 
« Et tu étais couché sur la banquette dans ce moment hors du temps sous la lumière de la petite ampoule rouge du bus et tu voyais les rideaux de l'éternité s'écarter pour que ta main commence et afin que tu puisses être l'affecteur – et l'effecteur – du complet demi-tour et du profond renouveau de la robe virevoltante de la littérature mondiale jusqu'à ce qu'elle devienne quelque chose sur quoi un homme puisse poser ses yeux et lire sans discontinuer pour le plaisir de lire et le plaisir de sa langue dans sa bouche et non simplement ces insipides histoires d'une aridité insipide et d'une paranoïa florissante et pourquoi l'image cependant – écoutons le Son de l'Univers, fils, et plus de demi-balivernes- » Jack Kerouac, « Vieil Ange de Minuit » ed. Gallimard.
 
1978, déjà parti, barré dans la mythologie nécrophage des grands incendiaires, l'altoiste Kaoru Abe s'est éteint dans l'excès des drogues, le constat clinique sera radical : overdose, le paradis ou l'enfer. Il avait 29 ans. Errant dans les marges d'un jazz d'importation, dans sa part sauvage, réfractaire aux petits commerces d'ambiance, il partagera dans le désordre des seventies avec le guitariste Masayuki Takayanagi et le contre-bassiste Motoharu Yoshizawa ce bruit insoumis, d'autres, amateurs, le corps traversé, parleront de free-jazz. Kaoru Abe préféra les impasses de l'extrême radicalité à la misère morale de la répétition, du ressassement, dans l'écoute d'une fondamentale de la partance, des harmoniques d'une liberté musicale, hors.
Tokuma édite trois volumes live enregistrés lors d'une tournée en 71 de Kaoru Abe (aux sax alto, clarinette basse, harmonica) avec le percussionniste Yasukazu Sato, courant de salles de bar en amphithéâtres d'universités pour déballer leur fratras intime et habité. Kaoru Abe partage avec Albert Ayler non seulement les corridors où errent les mythes d'une jeunesse dévorée, mais le phrasé halluciné d'un vent ascendant, creusant les rangs d'un public effrayé, explosant des thèmes d'une infinie mélancolie, caressant le corps libidineux de son instrument, quittant le spectacle pour une danse intérieure votive. Ce sont les restes d'une incandescente beauté qu'on ramasse ici, à se brûler le crâne. Ascension pour rejoindre les anges défroqués redevenus des hommes, se heurtant aux limites d'un espace scénique trop étroit, il lui fallait partir à travers ce jazz libertaire, à bout de souffle pour trouver d'autres portes à défoncer, pousser les nuages vers d'étranges desseins.
C'est avec Charles Gayle que Kaoru Abe partage l'ivresse absolue d'un son pris de vertige, dans la dépense magnifique d'une technicité effrayante. Il y a cette courte improvisation déprimée de Abe à l'harmonica, crachant l'air à travers ce bout de métal, un blues asthmatique s'effondrant dans les stridences de l'alto, comme des chaines balancées, courant dans un inconnu trop vaste. L'alto de Abe veut le hurlement, il veut gémir, il feule, chante dans toutes les langues; comme Ayler il est de ces perdants magnifiques qui font l'Histoire dans ses marges, suicidés trop jeunes.
Si Keiji Haino est un ange des ténèbres, Kaoru Abe est celui d'une nuit qui fut, pressentant dans trop de mélancolie et de rages des lendemains qui ne chanteront pas. Sombre dimanche …
 
Michel HENRITZI
Chronique parue dans Revue & Corrigée #38, décembre 1998
  • Michel Henritzi est l’auteur de « Jazz au Japon » , l’un des articles de « Polyfree, la Jazzosphère et ailleurs (1970-2015)» rassemblés par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont
  • Sombre dimanche : piste 2 de l’album
  • Je ne sais si l’album est encore disponible ou pas. Il a été édité en 97 chez Wax Records puis réédité en 2003 chez Polystar (Polystar Jazz Library, MTCJ-5505 Japan CD). Je n’ai pas trouvé de disponibilité sur les grandes enseignes en ligne. À moins que votre disquaire vous le trouve, il est possible de l'acheter sur Discog (32€ hors frais de port, mais les prix changent; lien ici)
    A attendant, avec une qualité de son limitée, on peut faire connaissance avec cet album via un lien vers ce « full album » sur YouTube

 

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