Harutaka Mochizuki / Makoto Kawashima «Free Wind Mood»
Le Japon n’est pas chiche de talents qui réinventent le jazz. Au-delà de ceux qui ont réalisés la percée des années 1960 à 1980, il est de jeunes créateurs perpétuellement insatisfaits, qui n’ont de cesse de défricher encore et encore. Parmi eux, Harutaka Mochizuki et Makoto Kawashima. Ils se sont partagé les deux faces d’un vinyle pour laisser libre court à leur musique, avec un titre évocateur, « Free Wind Mood »
On peut trouver sur le « Son du Grisli » une interview de Harutaka Mochizuki. Un personnage complexe, venu au jazz en partie après l’écoute de Kaoru Abe. Mais il ne parle pas d’influence. Il cherche son propre son, son discours. Il cherche à jouer peu de notes, déclarait-Il. Exercice pratique avec l’écoute de la face A.
Pas de note au début, si ce n’est le souffle dans le tuyau, peut-être pour rappeler le nom de l’album. En fait, il s’agit d’infra-sons, qui poussent mais n’émergent pas, puis ils y parviennent, comme dans un déchirement, comme pour une naissance difficile. Une sonorité qui s’épanouit progressivement, surprenante, une forme de plainte qui tutoierait le sifflement. Il fait vibrer les entrailles du métal. Un son qui reste dans la mémoire. Le discours peine lui aussi à s’extraire des notes isolées. De fait, il s’agit d’épures de phrases pour dire l’essentiel avec peu de notes. Nous y sommes. Dans ce flux discontinu et radical, on surprend des accents mélodiques, comme déchiquetés. Il y revient toute la pièce durant. Ces segments isolés tracent un chant morcelé, jeté dans les résonances, et d’un lyrisme destructeur. On n’en sort pas intact. «Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots» disait le poète.
Que nous réserve Makoto Kawashima ?
C’est un chant qui s’élève, brut, primal, rude, rocailleux. Il n’est pas là pour plaire, il bouscule toute bienséance. La proximité des deux musiciens est évidente, tout comme l’intention de ce projet : Faire tendre l’oreille pour repérer les différences. La sortie des infra-sons est plus rapide, le souffle fait chant, puis notes dans un entre-deux incertain. Kawashima va fouiller par moments les graves en de grands tremblements, comme des à pics vertigineux. Il joue sur l’intensité, les contrastes, les franges du dérapage. Une mélodie ? Plutôt une mélopée d’abord puis un chant qui s’épanouit, s’éraille, se fait plainte puissante puis murmures. Un lyrisme encore plus ravageur.
L’album est relativement bref, trente sept minutes, mais d’une grande expressivité. Deux musiques loin des traditions délétères. On y retrouve le goût des racines et l’impérieuse nécessité de s’en affranchir, en conciliant radicalité brute et évocations mélodiques. Deux formidables improvisateurs.
Ils ont été réunis pas un label, An’Archives, spécialisé dans la création musicale japonaise d’aujourd’hui. Sur Bandcamp on pourra se procurer cet album sous forme physique ou numérique. C’est un crève-coeur que de choisir quelle piste proposer à l’écoute. Mais vous les écouterez toutes les deux, c’est l’évidence.
PS
L’interview de Harutaka Mochizuki sur Le Son du Grisli
Une très belle chronique de cet album par Michel Henritzi
Merci à Cedric Lerouley qui m'a fait découvrir ces musiciens.
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