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Jazz à Paris
12 septembre 2019

Kaorue Abe étant mort, j'ai tout fait pour le rencontrer (par Julien Palomo)

Sabu Toyozumi - Kaoru Abe

Guy Sitruk m'invite ici à reprendre les notes que j'avais préparées pour la parution de Banka/Mannyoka chez NoBusiness Records. Je prends la liberté de les étendre et les amender sensiblement. Croiser la route de Kaoru Abe – pas seulement sa musique : qui il fut – n'est pas une expérience anodine.

Je le « savais », d'une façon ou d'une autre. Ma rencontre avec le Free Jazz japonais remonte à 1995 ou 96, sur la vénérable Montagne Sainte-Geneviève, chez Crocojazz. Gilles Coquempot avait rentré Ghosts d'Albert Ayler, mais aussi un curieux CD « par des Japonais », Ghosts By Albert Ayler, un bootleg du Yosuke Yamashita Trio (accompagnent le pianiste : Akira Sakata au saxophone, Shota Koyama à la batterie). L'essentiel du disque est une longue reprise du thème de Ayler. Ou bien plutôt, une savante (mais respectueuse) déconstruction, une recherche inlassable des points de paroxysme, où le matériel thématique est littéralement samplé et remonté de façon quasi-sérielle. Je ressortis de cette journée amoureux d'Ayler, et obsédé de ces trois fou-furieux (on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans).
Malgré les débuts d'internet, trouver « du free japonais », même à Paris, était une gageure. Passées les quelques références allemandes de ENJA, comme Yamashita avait écumé les festivals allemands avec outrance entre 1974 et 1980 (Sakata me confiera plus tard que le trio jouait férocement de sa « Japonité », petite stature, petite moustache, cheveux ras, vêtements noirs, énergie, dans une sorte de stratégie de com avant l'heure), rien ne filtrait. MobyDisk, métro Cardinal Lemoine, avait bien quelques reliques à obi, immaculées, mais rien qu'un étudiant puisse s'offrir. J'allais maintenant écouter régulièrement Abdelhaï Bennani en concert, qui invitait régulièrement Alan Silva, Itaru Oki et Makoto Sato. C'est l'époque où Terronès ressuscite un peu Marge avec leur Enfances, où l'Atelier-Tampon commence à accueillir quelques banquettes défoncées. Maladivement timide, je mis deux ou trois ans avant de leur adresser la parole – Makoto et Alan surtout m'inpressionnaient, Abdou et Itaru étant eux, déjà, cool-cool. Je retrouvais chez Makoto Sato, dans la gestuelle, l'accordage, le placement, quelque chose que j'avais entendu dans ces rares disques, une façon, quand il paraît évident que l'intensité est déjà intolérable, d'injecter dans le réacteur emballé de la performance un litre de kérosène supplémentaire. Oki, entre deux bières, me fournissait aimablement des détails sur sa carrière, sur le mouvement Free à Tokyo et Osaka.
Il m'a fallu quelques voyages au Japon à la fin des années 2000, in extremis avant que l'arrivée de la crise du disque chez ces nationalistes du CD n'entraîne l'inflation des prix de l'occasion, pour évidemment constituer une collection conséquente, mais aussi partir à la recherche des musiciens qui avaient fait le Free. Yamashita, perché dans son Pit-Inn au cœur de Tokyo, s'était assagi, à grands renforts de Cecil McBee (mais c'est beau...), tandis que Sakata, victime récemment d'un AVC, était redescendu, à son grand regret, à la simple puissance d'un charter au décollage. Mais le mieux, c'était F.M.T., le Free Music Trio. Il fallait aller le mériter à « In F », un jazz-kissa en banlieue. Soit, à Tokyo, deux heures trente du centre. Il y avait l'impassible Keiki Midorikawa au violoncelle, le nez rivé sur des partitions qu'il ne suivait pas. Il y avait Yoshisaburo « Sabu » Toyozumi, qui, en bousculant un verre, en lâchant un stick, continuait à faire par ses moindres gestes de la musique même quand il avait quitté la scène. Il y avait Yoshiaki Fujikawa, le plus aylerien des jazzmen japonais, produisant un vibrato surhumain sur des anches taillées main, sans doute force 15. Mid-flight, désespéré de ne pouvoir surenchérir, il pouvait abandonner le saxophone pour essayer de souffler dans un crapaud en bois, ou un tabouret. (Depuis, estimant qu'il avait « échoué », et que le public après quarante ans de carrière ne le comprendrait jamais, il a légalement changé de nom, poursuivant néanmoins son œuvre de destruction. Je n'ai pas le droit de dévoiler sa nouvelle identité.) Il y avait, encore, du sake, et chaque membre du public avait amené ses propres moyens d'enregistrement, mention spéciale au système binaural qu'un jeune homme avait fixé à ses lunettes. Je parais sans doute sourire de tout ceci. Mais point pour m'exclamer, « Comment peut-on être Persan ? » ; plutôt pour souligner que dans les confins peu visités de l'île millénaire, la puissance artistique et intellectuelle s'accompagne presque toujours d'un solide sens de l'auto-dérision, d'une conscience de la toute petite place qu'on occupe sur terre, d'une envie de bien se marrer.
Sabu, contrairement aux autres, avait continué de voyager. L'accueil fut chaleureux, il avait passé quelques mois à Paris au tournant des années 70, avec le Emergency de Bob Reid, le groupe le plus divers qui se pouvait imaginer : deux africains-américains, deux japonais, un gitan (Reid, Glenn Spearman, Toyozumi, Takashi Kako, Boulou Ferré). Il était donc un peu francophile sur les bords, même s'il n'y a pas assez de nature à Paris pour l'attirer souvent (il a besoin d'un parc dès 5h du matin pour ses exercices quotidiens : et comme souvent il s'exerce vêtu de son seul short, il se plaint que les parisiens le regardent bizarrement). C'est Alan Silva qui nous a branchés. Improvising Beings était dans ses débuts, et Théo Jarrier m'avait aimablement dirigé vers deux jeunes musiciens qui lui avaient proposé une bande pour publication, le guitariste Takuo Tanikawa et la chanteuse Keiko Higuchi. J'arrangeai la sortie de Crimson Lip (par Alan Silva, Keiko Higuchi, Sabu Toyozumi, Takuo Tanikawa; IB08) à distance, mais j'eus le plaisir d'aller remettre son enveloppe à Alan en plein Tokyo, où il présentait un Celestrial Communication Orchestra presque entièrement constitué de vétérans du Free japonais. (Qu'est devenue l'équipe de cinéma présente pendant ces soirées ? Hélas...) Tanikawa m'emmena écouter Shota Koyama chez Aketa's. Les musiciens me jetaient leurs albums de collection hors de prix à la figure, bidonnés que quelqu'un s'y intéresse. « J'ai écoulé un disque cette année », plastronnait Koyama. Le pianiste Yoriyuki Harada était plus secret, quoique intarissable sur Tristan Honsinger avec qui il venait d'enregistrer deux magnifiques sessions. C'est la seule fois qu'un concert acoustique m'a fait franchir le seuil de la douleur auditive. Le saxophoniste Eiichi Ayashi, installé dans le registre apoplectique, rouge brique, demanda une heure de pause entre les sets. Harada jouait debout, chassant le piano sur deux mètres avant que quelqu'un ne s'avise de le caler. L'ingénieur du son de Ohrai records coupa l'enregistrement au bout d'un quart d'heure, ses niveaux flingués. Pendant ce temps, le barman déménageait la cave pour me trouver un CD du patron du lieu. Le lendemain, Higuchi m'emmena voir F.M.T.
Un tout petit peu plus tard dans le mois, je zone avec Sonny Simmons (il y a de ces mois). Comme à l'accoutumée, nous composons avec n'importe quelle crèche de fortune dans un quartier commerçant – faudrait pas devoir faire des kilomètres avant le premier bar. Pour une fois, il y a de quoi écouter de la musique. Avant Airbnb, ce n'était pas toujours donné. On écoute Partitas de Kaoru Abe. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça le fait réagir. Il n'a jamais entendu parler de Abe, mais il sait tout de suite qu'il est mort, que c'est un fantôme, et qu'il se cherche très douloureusement. Il a cette relation particulière avec les Morts. Il est ensuite plus réceptif à la musique de Toyozumi : il comprend ce que c'est que que de survivre aux « Prophètes ». On remet Partitas. You tell me the mother*** was 25 when he done that?... I wish he'd gotten the time to get his shit together... His technique... He could have gone where Dolphy was...
On remet Crimson Lip, Alan joue dessus, ça ne peut que lui plaire. Et Sabu l'intéresse vraiment. Ça, c'est une rencontre que je n'ai pas su provoquer, ça les branchait bien, pourtant. Sabu sait tout faire, mais si en plus on lui donne un saxophoniste d'envergure et qu'on le laisse tout seul avec... Voilà. Merci de m'avoir laissé planter le décor. Je me suis dit qu'il serait plaisant pour certains de lire comment j'avais glané ces quelques poussières d'Abe. (Lors de chacune des soirées que j'évoque, il en fut question, bien entendu.) Abe se mérite, il faut aller le chercher sur place. Et encore, une fois sur place, faut-il rentrer dans son jeu. Le suivre. Personne n'a dû trop se donner la peine, à la réflexion. Sinon, je ne vois pas bien comment le premier couillon venu, comme moi, se serait retrouvé à devoir à toutes forces publier ce trésor. Ça aurait quand même été plus cool pour l'Histoire du Free Jazz que je ne sois pas régulièrement tout ce que l'Histoire du Free Jazz avait sous la main !
Yoshisaburo « Sabu » Toyozumi, donc, est ce qu'on appelait en français du XIXème siècle un « drôle de corps ». Un esprit infiniment ouvert dans un corps pris de bougeotte perpétuelle. Avenant et bienveillant, « funny in the head », ses propres mots, ambigus à dessin. Il n'y a qu'un seul sujet qui l'assombrisse, Kaoru Abe. C'est la mort de celui-ci qui l'a mis sur un chemin différent, comme dit le cliché. Les choses allaient bien pour lui, de 1979 à 1984. Il avait pris la bonne habitude d'être le premier à « importer » ses héros étrangers aux États-Unis – Brötzmann, John Zorn, Bailey, Mengelberg, Sunny Murray, Alan Silva... – ce qui lui valait en retour quelques solides engagements dans les meilleurs festivals. (Reste que tout le monde ne lui rendait pas la pareille – here's looking at you, Mr. Zorn. Et que le choc des cultures n'était pas toujours simple dans un Japon encore peu ouvert au tourisme extérieur, témoin M. Bailey qui trouve les « love hotels » plus confortables que les tatamis, et la Video On Demand, cette nouveauté du câble, plus sympa que la télévision, alourdissant la note des tournées.) Et puis il se rendit compte que tout cela était devenu un job, avions, hôtels, balance, quelques photos, un vocabulaire circonscrit. A la veille de partir pour Moers, il appelle son tourneur pour lui dire qu'il a mal à la tête, prend le train pour l'aéroport, et change son billet pour n'importe où ailleurs. Cela fait quelques années qu'il part souvent sur un coup de tête, un peu rond, sans trop savoir pourquoi, entre deux engagements. Il se retrouvera bloqué deux semaines à l'Ambassade du Japon en Centrafrique, pendant l'insurrection meurtrière qui met fin au régime de Bokassa. A quarante, il se cherche, et laisse entendre qu'il se cherche d'autant qu'avec Abe, il pensait avoir trouvé – musicalement au moins.
Très jeune, il avait voulu échapper à son cadre familial de salarymen. Le voici dans le premier groupe de pop venu, les Samouraïs, en route pour l'Italie où il ouvre pour The Move. De retour à Tokyo, il est vite remarqué des initiateurs du mouvement free, par Takayanagi notamment. L'audience n'est pas encore là, pas là du tout en fait : il y a bien un patron de bar à sushis qui en 68-69 prête pour répéter sa cuisine et sa chambre froide aux groupes sans piano... et quelques troquets ici et là. Fin 69, le producteur Teruto Soejima convainc le Pit-Inn de le laisser convertir un espace de stockage en « boîte de free », le New Jazz Hall. Les choses bougent, une cinquantaine de personnes peuvent, s'ils délaissent les loisirs canailles du quartier, s'entasser pour entendre les sons bizarres et « extrêmes » du trio d'Itaru Oki, du New Direction Unit de Takayanagi, du contrebassiste Motoharu Yoshizawa... Jusqu'à ce que saute sur scène un type de vingt, vingt-et-un ans, Kaoru Abe, qui joue tout seul, fort, longtemps, sans trop s'inquiéter de savoir ce qu'il fout. Peut-être du jazz, ou du free, il a ça en tête, dans un de ses premiers interviews il dit qu'il est mu par l'aliénation, qu'il voudrait que le son de son saxophone suspende tout jugement chez les autres, parce que il ne faut pas trop réfléchir dans la vie, plutôt s'en remettre au cosmos. Toyozumi est un peu le seul à sympathiser avec ce nouveau-venu qui s'incruste bientôt toutes les semaines sans y être vraiment conviés et qui, contrairement aux autres musiciens du mouvement, déjà plus âgés, pour certains d'ailleurs jazzmen depuis les années 1950, et amenés au Free par la visite de Coltrane en 1966, ne cherche pas à s'intégrer à un groupe, à en monter un, et ne s'intéresse pas vraiment aux dynamiques d'ensemble. Ils écoutent des disques dans la chambrette de l'un ou l'autre mais « un peu n'importe quoi, pas particulièrement du free ». Abe n'intellectualise pas, ça lui plaît tout de suite à Sabu. Sabu a horreur du formalisme japonais, et des postures artistiques. Il ne sauve que la calligraphie, où l'improvisation a sa place. Une improvisation lentement mûrie.
La famille de Kaoru Abe compte déjà un musicien. Un musicien à la présence écrasante : son oncle Kyu Sakamoto, responsable d'un tube international, Sakura Sakura. La famille, chez les Abe, est une affaire qui dure... Disons qu'il existe un atome de l'espace-temps, un minuscule salon de la banlieue de Tokyo, où il n'est jamais vraiment mort... Si je puis m'expliquer : quand Sabu et moi avons commencé à préparer l'édition des bandes de Overhang-Party qui allaient devenir Mannyoka/Banka chez NoBusiness Records en 2019 (d'abord prévues sur Improvising Beings), Sabu avait une idée précise. Un projet bien plus profond que de simplement « sortir » le troisième album de Overhang Party. Tout le monde ignorait l'existence de ces cassettes enregistrées par un fan dans de petits clubs, de toutes façons. Nous étions dans la lointaine banlieue de Tokyo, avachis dans de formidables fauteuils dans le salon de Yoshi, son assistant, collectionneur de disques fameux, DJ, et tenancier d'une petite salle entièrement dédiée à Sabu, Kura-No-Ne. Les trésors des archives de Sabu passaient depuis le début de la soirée : un album studio inédit avec Mototeru Takagi, son autre grand ami saxophoniste disparu trop tôt, un trio de percussions avec Han Bennink et Sunny Murray, un concert-brûlot avec Alan Silva et Oki... et ces deux cassettes avec Abe, partiellement effacées, dont je ne pus sauver qu'un tiers avec l'aide de Benjamin Duboc et ses logiciels magiques. Et donc, nous parlâmes de Abe. De l'Esprit des Morts, et de ceux qu'ils laissaient derrière. Il sortit l'album photos. Quelques semaines auparavant, il avait rendu visite à Maman Abe, toujours là, impeccable dans ses quatre-vingt-dix et quelques années. Elle avait toujours veillé au grain. L'édition des nombreuses archives de Abe chez P.S.F. s'étaient faites par son entremise. Hideo Ikeezumi, le regretté producteur et patron de Modern Music jusqu'en 2014, l'endroit où il y avait tous les disques d'avant-garde introuvables du monde, où je discutais longueur de barbe avec Makoto Kawabata et me voyait sans cesse demander si je connaissais Ghedalia Tazartès en personne, évoquait immanquablement le passage annuel de Maman Abe pour relever les compteurs et boire une petite bouteille de saké comme un rite essentiel à son existence. La première photo qui me frappa dans l'album était celle de Sabu et Madame Abe, arborant un sourire séraphique, un authentique poster de Overhang-Party entre eux, sous les photos de deuil du crooner Kyu, son frère, et du saxophoniste « maudit », Kaoru. Sabu tint à me préciser tout de suite que c'est à ce même endroit qu'ils avaient exposé le corps de Abe, après l'avoir trouvé. Sabu tourne les pages : des clichés de Abe enfant, de lui-même enfant, le saxophone de Abe dans son étui, sa dernière boîte de anches... Sabu se recueillant devant l'autel domestique... Madame Abe et Sabu esquissant un pas de valse ensemble, riant aux larmes. Dans un parallèle frappant, Sabu baptisa les pièces que je découpai tant bien que mal dans les bandes sauvées, du nom de leurs mères respectives : « Chanson pour Kyoko [Toyozumi] », « Chanson pour Kiyoe [Abe] ». Dans les vertigineux jeux de miroir de l'existence, Maman Abe et Sabu-san s'appesantissent sur le reflet de Maman Toyozumi et de Kaol-san. Sabu essayait de se sentir enfin pleinement responsable de cette matrice sonique, brisée depuis quarante ans, d'où sont sorties tant d'explosions musicales, free, noise, au Japon et ailleurs, écrasé peut-être qu'il était depuis longtemps par l'influence difficile à mesurer de ce duo qui pourtant, alors qu'il cherchait à se faire connaître, n'était positivement rien. Ce projet de troisième album de Overhang-Party, c'était sa façon de faire sa paix avec la tragédie de Kaoru Abe.
Sabu et moi nous arrêtons sur une des dernières photos de Abe. Il porte des lunettes de soleil : d'abord, il essaie de cacher les cernes de la défonce ; ensuite, il est mort en été. C'est l'heure où l'on dévalise le konbini de ses saké cups à un euro. L'imposante stéréo est muette, il y a une gamine qui dort à côté. Abe sourit, aussi. Pas ce sourire voilé, un peu cynique, qu'on lui voit sur pas mal de photos – un genre de pause, Sabu en convient. Là, il sourit, et quand je fais observer à Sabu qu'en fin de compte, on sait très peu de choses de Abe, en Occident tout du moins, Sabu répond que cette photo, que je n'aurai pas le droit de reproduire, c'est vraiment lui, un gars plutôt direct, pas vraiment l'icône torturée qu'on veut bien retenir, qu'on soupçonne, qu'on aimerait trouver. Quand ils se sont rencontrés à Shinjuku en 1970, Abe venait de lâcher ses études – dès sa première année. Des études de quoi ? Sabu ne sait plus, et vu le Japon de l'époque ça devait être ennuyeux, de toute façon. Ou arty. Non, Abe, lui, voulait vivre. Pendant qu'il apprenait le sax, il s'est aussi essayé à la boxe et à la course automobile. Bref, il voulait un métier excitant, et y faire la différence, alors quand même il se fixa sur musicien. Mais il ne pouvait pas trop s'empêcher de trouver que les gens passaient tellement de temps à être sérieux et ennuyeux avec la musique, qu'il pouvait bien faire comme Ayler, cut the crap et consacrer ce temps de bullshit à vraiment explorer des limites. Quand Sabu et lui se mirent à travailler ensemble, en 1977 (et pendant les sept ans écoulés ? Soit Sabu fonçait d'un point à l'autre sur la planète, il y a eu Paris, il y a eu aussi Chicago où il débarque avec $27, demande où se trouve l'AACM en débarquant à la gare, apprend le karaté à ses membres et se marie avec la sœur de Steve McCall ; soit il était au Japon et ils préféraient prendre un coup entre amis), Sabu lui confessa ses envies de voyages de plus en plus frustrées par les engagements musicaux. Qu'à cela ne tienne, Abe décida qu'ensemble, ils graviraient le K2. « Décida », au sens fort, guides de voyage à l'appui. Quant Abe se mettait en branle, les choses allaient loin. Pouvaient déraper. Par exemple, il avait appris la batterie, gamin. Puis il avait écouté Parker. Le lendemain, il avait un saxophone alto. La seule possession terrestre en laquelle il tenait. Il n'en a eu que deux. Il avait déjà quelque notoriété quand il fallut acheter le second. Au magasin, il fit une scène. Pourquoi devait-il payer l'instrument aussi cher que n'importe quel autre saxophoniste, alors que lui faisait des choses hors du commun avec cet instrument ? Sabu croit se souvenir qu'on lui accorda la remise, pour se débarrasser de cet énergumène. Ses autres instruments, il les « empruntait ». L'encombrant marimba, par exemple, avait été « emprunté » à Toyozumi qui lui-même l'avait « emprunté » à Togashi. Togashi récupéra son marimba à la mort de Abe, et n'eut de cesse de tanner producteurs et tourneurs pour faire figurer la précieuse relique. La guitare et l'harmonica, Abe les avaient « empruntés » à sa petite sœur.
Au Japon, pour les gens qui s'intéressent au sujet, il y a un éléphant dans le salon de thé, le film Last Waltz de Koji Wakamatsu. On y relate la relation que Abe entretint avec la poétesse Izumi Suzuki, entre 1971 et 1977. Ils se marièrent, et ils ont une fille. Le film dépeint une relation romantique, violente, artistique, alcoolisée, stone, jalouse. Sabu : Peut-être. C'est vraiment ça qui est important, quand on l'écoute ? - Mais ce n'était pas un peu... encombrant ? - Oui... Non... Ils prenaient trop de somnifères (pas de drogue au Japon : à l'époque on peut en prendre pour vingt ans pour un joint. Somnifères et calmants sont les seules défonces de choix.) Mais ça n'affectait pas sa musique. En fait, ce film, ça pourrait être l'histoire de n'importe quel couple d'artistes à la relation torturée, ça ne veut pas pour autant dire que l'acte de création était lui-même torturé. Abe était trop certain de ce qu'il devait faire, et de ses moyens. De temps en temps dans le film, un vrai « témoin » de l'époque lâche quelques confidences dans un bar. Keiji Haino vient nous expliquer que Abe était un connard arrogant qui ne se souciait pas de son public et que l’extrémisme de sa musique en masquait la pauvreté. Sabu : Bof... Non... Non, je ne vois pas. Moi, en revanche, j'ai vu. Quand quelques années plus tard j'enregistrai dans cette même salle, Kura-No-Ne, Sabu et Akira Sakata en duo, il y avait un couple de retraités au dernier rang... Au moment où le duo franchit le mur du son, dans les premières secondes donc, ils sortirent posément un cadre orné. Dans le cadre, le sourire d'un ado, pas même la vingtaine. Leur fils décédé avant Abe. Il avait beaucoup suivi Overhang-Party. Abe et Sabu avaient beaucoup discuté avec lui après les concerts. Et avec eux, les parents, aussi, qui venaient le chercher. Alors ils avaient continué à emmener leur fils écouter Sabu, quand ils passaient à Tokyo. Après le concert Sakata, un peu nerveux, leur parle, et je me tiens à leurs côtés. Le cadre a réintégré son emballage. Sakata m'explique. Je dois boire pour me soutenir, et Sakata aussi. Avant que je craque, Sakata me glisse, Ah oui, oui, il était attachant, Abe. Il fallait suivre mais il était attachant.
A partir de 1976, quand sa notoriété est faite, et que ses soucis domestiques font place à la solitude, Abe change son rapport à la performance. Il n'aime plus monter sur scène : il préfère jouer depuis le public, ou depuis le bar et, il est vrai, si l'inspiration n'est pas authentique, il s'en excuse et ne joue pas, quitte à avoir une explication houleuse avec le patron du lieu ou le public même (ce qui fit sourire Sonny Simmons, qui adhérait à la même éthique difficile à comprendre de l'extérieur). Le silence avait fait son apparition dans sa musique, et une sorte de calme tout de tension, de désespoir. Moins d'explosions de rage (mais celles-ci – de plus en plus dangereuses, physiquement dangereuses). Quête de dynamiques différentes à la guitare, à l'harmonica, aux percussions, aux flûtes. Mais qui a écouté le vaste corpus des derniers enregistrements de Abe, souvent négligés au profit de Overhang-Party, ou de son œuvre antérieure à 1975, sait que ses idées se raffermissaient. Il lui venait peut-être enfin l'idée d'évoluer, durer. Sabu semblait avoir sur lui une influence bénéfique, sur scène au moins. Certains malentendus n'en devenaient que plus pénibles. Quand le duo se vit offrir une participation « prestigieuse » aux projets de Milford Graves et Derek Bailey à l'été 1977, navré pour la légende – ceci n'enlève d'ailleurs en rien à la beauté de Meditation Among Us et à l’intérêt de Duo & Trio Improvisation - le clash était inévitable. Abe sentit qu'on ne le laissait pas s'exprimer. Que Graves et Bailey avaient des idées arrêtées sur l'improvisation, qui les cantonneraient à la position de sidemen. Pire, qu'on attendait de lui autre chose que ce que sa voix intérieure lui dictait – de revenir à la colère aveugle, dans laquelle Graves et/ou Bailey voyaient une analogie à la forme d'intensité qu'ils développaient dans leur musique. Furieux, Abe leur en donna pour leur argent, et au-delà. Le producteur dût intervenir avant que tout le monde ne quitte la surenchère générale, cacophonique. Sabu, convié aux enregistrements, resta chez lui sans donner signe de vie. Abe rentra dans le rang. La sortie des deux albums ajouta à la frustration du duo. Overhang-Party n'avait de cesse d'écumer les petits clubs japonais, plus que n'importe quel musicien d'avant-garde de l'époque, et n'avait toujours pas de contrat discographique. A bientôt trente ans d'ailleurs, Abe n'avait sorti qu'un disque, en 1970, avec Takayanagi. Un autre, un solo, était sorti sans son autorisation en 1972. Depuis, rien, malgré sa prééminence sur la scène...
Tourner, tourner... Encore des chambres d'hôtel, encore des patelins pas très vivants, encore des cachetons. 1979, pourtant, paraît promettre le « big break ». Le 13 janvier 1979, Overhang-Party est enfin promis dans un grand festival. Un gros festival. Programmé ! Soejima parle d'un disque, sur le nouveau label qu'il gère, Uranoia ! C'est le cœur du deuxième été – et au Japon, ça peut cogner – Sabu et sa femme prennent des vacances. Juillet, août, soirées chaotiques au club Gaia, toutes publiées dans les années 1990 dans un gros coffret. (Je pourrais en dire plus sur ces soirées si les notes de chacun des volumes avaient été traduites... Oki a écrit celles du volume 9, mais ce sont des impressions générales sur son jeu.) Abe saigne littéralement sur son saxophone, les auteurs des notes témoignent à demi-mot d'une attitude musicalement et humainement parfois auto-destructrice. L'audience, bien que loyale, s'offusque quelquefois de son insistance à se produire en multi-instrumentiste – là encore, on voudrait qu'il donne de long soli furieux jusqu'à tomber... Ces longs soliloques cristallisent l'essence du « nouveau » Abe. Les bandes de Mannyoka/Banka, enregistrées avant les vacances fatidiques de Sabu, celles du double LP historique A Tribute To Kaoru Abe, enregistrées le 13 août, le montrent lutter pour intégrer ce stream-of-consciousness à la dynamique du duo, Sabu se montrant particulièrement réceptif, fort de ses expériences chicagoannes avec l'AACM. The Last Recording (29 août) laisse deviner une certaine impatience, le set choisi est court, l'improvisation à l'os, l'audience de Hokkaido plutôt froide. Abe n'attend que de revenir à Tokyo pour le prochain concert du duo, le 10 septembre. Les deux amis ont convenu de se retrouver chez la mère d'Abe le 7. A la dernière minute, pour faire plaisir à sa femme, Sabu prolonge le séjour de deux jours. Le 8, ils s'appellent pour échafauder une tournée autour du festival cet hiver. Sabu retourne à la plage, Abe se fait chier, sort, rentre, prend des somnifères, oublie qu'il les a pris, prend d'autres somnifères, ou bien le sait-il parfaitement et se suicide, on peut faire ça aussi, quand on se fait chier. Toyozumi arrive chez Madame Abe le 9, et le corps est dans ce salon que je regarde sur les photos, que désormais des centaines d'auditeurs découvrent dans ce disque édité dans quarante ans. Sabu éclate de rire. La dernière bonne blague d'Abe, c'est que les ambulanciers n'arrivent pas à manœuvrer la civière dans l'escalier trop étroit ! Sabu écarte tout le monde, charge le corps d'Abe, peine quatre étages jusqu'au véhicule. « Nothing too serious, as usual. »
Au printemps suivant, Soejima lui offre une session en studio. Ce sera The Masterpiece, et le dernier album sous son nom propre jusqu'en 1992. En tête du disque, Pray From K2 – To The Late Kaoru Abe. Il aura gravi ce sommet pour son ami finalement. Ce même printemps, Soejima publie le disque « posthume » de Overhang-Party, capté à peu près professionnellement lors de deux concerts. Pas vraiment une consolation, le batteur estime que ce n'est pas entièrement représentatif de leur synergie, mais la technologie de studio de l'époque ne permet pas encore de sauver, sans claquer des fortunes que Soejima n'a pas, les cassettes que Sabu a commencé à récupérer auprès des fans avec qui il garde contact. Sabu « fait carrière » sans s'y intéresser, jusqu'à ce jour de 1984 donc, où il ne prend pas l'avion. Abe continue à être mort, Sabu continue à être à moitié vivant. Ses parents sont fiers de montrer aux amis et voisins sa bobine sur les posters de prestigieux festivals européens, mais n'ont jamais ne serait-ce que dé-cellophané ses disques. Et lui répètent que tout ça va s'arrêter un jour et qu'il ne sait rien faire. Quelques années auparavant, il s'est choisi un Roshi (maître), Watazumi Doso, Trésor Vivant d'une branche du zen très particulière, qui accorde beaucoup d'importance au son et à l'exercice en plein air. Cette fois, Sabu arrête de picoler, s'en remet à lui, se recentre. Le moins possible de propositions de concerts furibards. Plus de noise, moins de free, plus d'impro. Ne plus chercher l'attention à tout prix, se concentrer sur les rencontres, surtout si elles peuvent devenir des amitiés. Ne plus chercher l'assentiment de l'Occident, jouer au contraire en Amérique du Sud, dans toute l'Asie. Depuis trente-cinq ans donc, il est l’infatigable pèlerin de l'impro, transportant dans son maigre bagage (Sabu, tu as oublié ton pantalon chez moi en 2012) une certaine sagesse, un discours de libre expression, de libre pensée, de vitalité, d'hygiène. Et on se promène avec l'Esprit, l'immatériel, la sensation : il a en quelque sorte rempli à sa façon le programme que s'était fixé Abe. Avec cet autre grand mystique, Wadada Leo Smith, il publie chez son coiffeur, l'inestimable Wataru Matsumoto (Barberfuji), un disque manifeste, Cosmos Has Spirit.
Parfois, dans la fièvre du concert, sa présence renvoie une image presque glaçante de ce que dût être ce duo, dont tous les témoins m'ont affirmé qu'il n'y eut jamais rien de plus intense au Japon. Oui, les quelques expériences de concerts que j'ai relatées sont pour relativiser. Cela se produit immanquablement en duo avec un saxophoniste (mais pas Brötzmann ou Gustaffson : il les aime beaucoup, mais ce serait trop facile de les laisser aller par là – clin d’œil). Et il le dit, ce n'est pas entièrement bon pour lui. Après, il se sent « funny in the head ». Quand je lui demandai qui, lui qui avait joué avec tous les jazzmen et improvisateurs qui ont compté, avait réellement changé sa musique (quelle question con, désolé!), il me répondit qu'il avait rencontré trois Saints : Muhal Richard Abrams, Misha Mengelberg et Watazumi Doso. Je fus surpris qu'il ne mentionne pas Abe et Takagi. Non, ça, c'est trop personnel, dit-il. Cela reviendrait à parler de lui.
Kaoru Abe meurt cinq mois avant son trentième anniversaire. Il aurait fêté ses 70 ans ce 3 mai 2019. Toutes les morts prématurées entraînent de ces questions superflues – dans quelle direction serait-il allé, si sa carrière avait vraiment décollé dans les années 1980, allait-il changer, cette volonté de fer se serait-elle brisée, est-ce qu'il aurait essayé quelque chose de radicalement différent... Au lieu de quoi, nous n'avons que des réponses sur son passé musical. 28 albums auront vu le jour après sa mort. Peu d'artistes peuvent s'en vanter (dit ainsi... là où ils sont, ils s'en moquent bien, peut-être...). Mais finalement, ces disques présentent une image tronquée. Biaisée même : presque tous ont été péniblement arrachés à la boue magnétique de cassettes mono. Hum et Buzz, ces deux démons, ont enterrés la conversation solitaire du saxophoniste avec lui-même, avec ses doutes, avec son désespoir. Le maître des dynamiques infimes, des cliquetis, des soupirs, nous est inconnu. Et quand quelque chose en subsistait, les producteurs bien intentionnés, prisonniers de l'image d'un Overhang-Party et d'un Abe monstres sacrés et fouteurs de merde, ont sabré. Ce qu'ils ne cherchaient pas particulièrement à entendre et à donner à entendre, je l'ai écouté patiemment avec Sabu à la source – certains de ces disques sont à refaire. Ce Abe-là nous est curieusement contemporain. Par un curieux renversement, les cassettes utilisées pour Mannyoka/Banka avaient subi le sort inverse. Les bastons les plus salaces avaient rongé la bande. Les dialogues méticuleux étaient intacts. Une tête d'écriture farceuse. Mais le mal est fait d'une façon ou d'une autre : puisqu'il n'a pas été entendu de son vivant, il est devenu la figure tutélaire des noiseux paroxystiques de tous poils (heureusement : ceci jette un pont entre jazz et noise). Sabu espère que l'écoute des trois doubles albums qui sont le corpus désormais définitif de Overhang-Party rééquilibrera cette perception.
Un dernier mot d'analyse toute personnelle, pour ne pas se faire des amis. Dans les articles récents traitant de sa dernière période, je continue de lire qu'enregistrer avec Milford Graves et Derek Bailey a été un moment charnière pour lui. Je crois avoir suffisamment laissé entendre ce qui s'était réellement passé pour que l'on sache à quoi s'en tenir (j'aurais voulu avoir les témoignages de MM. Kondo et Tsuchitori, mais Sabu ne les savait pas intéressés...). Honnêtement : nous n'en savons rien. Sabu ne sait pas ce que Abe écoutait en matière de free et d'impro, je ne le sais pas et, plus important, ces critiques ne le savent pas non plus. Ces vues sont donc parfaitement ethnocentriques. Comme si l'évolution d'un artiste Japonais ne pouvait trouver d'explication que dans l'exposition de celui-ci à une influence occidentale. Je rappellerai volontiers que les dynamiques extrêmes, les silences, la méditation, le minimalisme étaient solidement ancrés dans la culture japonaise des siècles avant la naissance de Zarlino.
La postérité induit de ces déformations. Surtout quand la barrière du langage est si haute que l'intérêt du sujet n'entraîne pas automatiquement de traduction. D'un point de vue occidental, Kaoru Abe restera longtemps unheimlich – l'inquiétante étrangeté chère à la psychanalyse. Est-ce qu'il était une extension exotique, un rejeton isolé du Kaputtspiel ? Il est vrai que sa musique était bien un assaut planifié contre la culture et la société de son pays, mais il refusait le phénomène de groupe, la communauté, il ne cherchait pas à libérer les autres, cette rébellion était toute personnelle. Est-ce qu'il était un précurseur intuitif des communications empathiques de Derek Bailey ? Mais je ne vois pas, justement, ce qui dans le corpus auquel il avait accès au Japon en 1968-1970, lui aurait permis d'aboutir à des conclusions parallèles à celles de Bailey. Il faut peut-être tout simplement balancer toutes ces considérations aux orties, les comparaisons ne résistent pas à l'écoute au feeling, insiste Sabu. Il serait suprêmement, et juste cela, il serait temporairement, l'incarnation de quelque chose de spécifiquement japonais, ce continent oublié de la musique expérimentale, qui doit bien peu à nos jeunes civilisations.


Discographie
Double datation : la première date est la date d'enregistrement de la musique, la seconde la date de première publication.
Masayuki Takayanagi/Kaoru Abe – 解体的交感 (Sound Creators Inc., 1970) Creative Destruction DIW415
(Kaitaiteki Koukan)
Kaoru Abe – 1972 Winter (Sound Works, 1972)
Milford Graves – Meditation Among Us (Kitty Records, 1977)
Derek Bailey – Duo & Trio Improvisation (Kitty Records, 1978)
Overhang-Party (Kaoru Abe/Sabu Toyozumi) – Overhang-Party – A Tribute To Kaoru Abe (ALM-Uranoia, 1978-1979)
Kaoru Abe – 彗星 Partitas-Unfinished (Nadja, 1973-1981)
Kaoru Abe/Motoharu Yoshizawa – <Nord> Duo '75 (ALM-Uranoia, 1975-1981)
Kaoru Abe – Mort à Crédit = なしくずしの死 (ALM-Uranoia, 1975-1983)
Kaoru Abe – Last Date 8. 28, 1978 (DIW, 1978-1989)
Kaoru Abe – Solo Live At Gaya Vol. 1-10 (DIW, 1977-1978/1990-1991)
Kaoru Abe – Studio Session 1976.3.12, The Documentary Of Solo Improvisation (Vivid Sound, 1976-1992)
Kaoru Abe – またの日の夢物語 Solo.1972.1.21 (P.S.F., 1972-1994)
Kaoru Abe/Nitta Kazunori/Senda Keiichi - 19703, 新宿 (P.S.F., 1970-1995)

Kaoru Abe + Sabu Toyozumi (guest) – Solo Live At Gaya box set (DIW, 1977-1978/1995)
Kaoru Abe – 暗い日曜日 (Wax Records, 1971-1997) Kurai Nichiyoubi (Sombre dimanche)
Kaoru Abe/Yasukazu Sato – アカシアの雨がやむとき (Wax Records, 1971-1997)
Acacia no ame ga yamu toki
Kaoru Abe – 風に吹かれて (Wax Records, 1971-1997)
"Mata no hi no yume monogatari" ou Féerie pour une autre fois
Kaoru Abe – 恋人よ我に帰れpt.II (Wax Records, 1971-1997) Lover, Come back

Kaoru Abe + Motoharu Yoshizawa (guest) – Live At Passe-Tamps 1-18 (Passe-Tamps Disk, 1974-1976-1977/1999-2000)
Kaoru Abe/Motoharu Yoshizawa/Toshinori Kondo/Derek Bailey – Aida's Call (Starlight Furniture Co., 1978-1999)
Kaoru Abe/Hiroshi Yamazaki – Jazz Bed Duo 1971 (P.S.F., 1971-2000)
Masayuki Takayanagi/Kaoru Abe – 漸次投射 Gradually Projection (DIW, 1970-2001)
Masayuki Takayanagi/Kaoru Abe – 集団投射 Mass Projection (DIW, 1970-2001)
Kaoru Abe – 木曜日の夜 (P.S.F., 1972-2003)
Recorded live on July 13, 1972 at Pulcinella, Shibuya, Tokyo
Kaoru Abe – The Last Recording (DIW, 1978-2003)
Derek Bailey/Kaoru Abe/Toshinori Kondo/Toshi Tsuchitori/Motoharu Yoshizawa – The Music... Hardcore Jazz (Kitty Records, 1978-2003)
Overhang Party (Kaoru Abe/Sabu Toyozumi) – Senzei (Qbico, 1978-2004)
Kaoru Abe – 遥かな旅路 (P.S.F./Youth Inc., 1973-2012) Recorded at Pit Inn thea room; My foolish heart
Kaoru Abe + Hiroshi Yamazaki, Nitta Kazunori, Senda Keiichi (guests) – CD Box 1970-1973 (Youth Inc., 1970-1973/2012)
Kaoru Abe + Masayuki Takayanagi, Unknown (guests) – 未発表音源+初期音源 (Youth Inc., 1970-1973/2012)
Kaoru Abe/Keizo Inoue/Tatsuya Nakamura – Live At 八王子アローン Sep.3, 1977 (DIW, 1977-2015)
Overhang Party (Kaoru Abe/Sabu Toyozumi) – Mannyoka/Banka (NoBusiness Records, 1978-2019)

 

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