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Jazz à Paris
29 septembre 2020

ONJ « Dancing in your head(s) »

ONJ Dancing your Head


Voilà donc un nouvel album de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Fred Maurin. Enregistré en public au festival Jazzdor 2019, il est dédié à Ornette Coleman, comme le nom de l’enregistrement l’indique (composition de 1977).

Il est des ronchons, dont je suis, qui se méfient de ces hommages en musique où ceux qui sont célébrés risquent de ne pas s’y retrouver. 

Et puis, qui s’agit-il de célébrer ? L’improvisateur et l’innovateur ? Le compositeur ? 

On sait la science des arrangements de Fred Maurin, son goût pour les irisations complexes de timbres. En choisissant de faire appel à Fred Pallem, autre grand magicien des sons, pour une bonne part des arrangements, il accentue cette veine, d’autant qu’il dispose avec l’ONJ d’un « instrument » de tout premier plan. Il peut alors nous offrir un Ornette Coleman revisité, totalement festif, jubilatoire. Ce n’est pas de l’Ornette pur cristal; d’ailleurs quel serait l’intérêt ? Il rejoint d’une certaine manière ce qu’en son temps avait aussi réussi John Lewis en adaptant « Lonely Woman » au Modern Jazz Quartet, à son esthétique « Third Stream », assez éloignée d’une New Thing balbutiante. Il avait alors popularisé la musique du marginal, il avait contribué à sa reconnaissance, et il a permis à certains de pousser la porte et d’entrer de plein pied dans cet univers en rupture avec l’esthétique ambiante, de découvrir le Free. À propos de cette musique, on parlait à l’époque d’expériences, sous-entendu sans lendemain. Quelle revanche sur les préjugés !

Et avec l’ONJ d’aujourd’hui ?  On fête le bonheur d’avoir croisé sa route, avec les plaisirs d’aujourd’hui. On retrouvera la beauté fragile, gracile, de son chant au sein de ses petites formations, dans la réécoute de ses albums. On découvrira ici, avec cet orchestre de 16 musiciens, un Ornette que même les plus conservateurs ne sauraient dédaigner. Il fut un magnifique compositeur et nos deux Fred ont su le rappeler brillamment, et extraire de ses compostions des saveurs inédites, qui permettront à certains rétifs, s’il en reste, de pousser la porte, à leur tour. 

Car cet album est somptueux. 

C’est une grande fête où la puissance mélodique vient s’allier à une richesse orchestrale remarquable. Des grondements, des notes éparses, des mouvements dont on ne perçoit pas la cohérence mais dont on savoure des textures qui s’entremêlent, qui s’épanouissent : ils ouvrent la voie à des lignes  mélodiques luxuriantes, appuyées par une rythmique implacable ... Mais ici tout est dualité, le métronome et le chaos, le lyrisme d’un solo et des mouvements latéraux foisonnants, erratiques, l’ordre et sa transgression permanente. C’est ainsi que « Feet Music » amorce l’album, suivi immédiatement d’un chant enfiévré de JM Couchet sur « Jumping Street », l’orchestre présentant ensuite le thème dans une débauche de timbres flamboyants propulsés par une rythmique débridée. Et dans la continuité, un autre solo, sur-vitaminé, d’Anna-Lena Schnabel suivi par la même exubérance de l’orchestre pour « City Living ». L’album est à l’image de ce début irrésistible. Les improvisateurs se lâchent et savent dire de quel héritage de l’innovateur Ornette, ils se sont accaparés. 

Une place a été faite à Eric Dolphy, avec « Something Sweet, Something Tender » introduit a capella par un Daniel Zimmermann (tb) voluptueux rejoint par un orchestre tendre aux sonorités en corolles multiples qui, comme pour d’autres pièces, présentera le thème. 

Une double surprise ensuite : on célèbre le trop délaissé Julius Hemphill avec son thème emblématique, « Dogon A.D. », et l’un de ses élèves, Tim Berne. Et c’est un tournant dans ce concert. Tim Berne est rayonnant, abrupte et séducteur, inspiré au possible par un thème qu’il a biberonné; il est habité. L’orchestre lui déroule ses tapis les plus fastueux, avec des divergences gourmandes, des flammèches rebelles dont serait fier un certain Mingus. Comme de juste, c’est encore le groupe qui offre le thème. Avec une telle exubérance sonore, on ne pouvait en rester là. Susana Santos Silva (tp) prend le relai très crânement, et nous offre un de ces solos solaires et plein de sève dont le jazz a le secret, au milieu de mitrailles erratiques de la batterie et de ponctuations des guitares qui pincent le cœur. Avec le retour de la scansion du thème par l’orchestre, soin est laissé à Bruno Ruder (e-keyb) de révéler certaines couleurs décalées du thème. 

Après, c’est la gageure : comment jouer « Lonely Woman » ? À peine esquissées, sur divers instruments, des bribes affleurent. Mais il faut tout de même y aller. Une rythmique légère mais frénétique, les instruments à vent devenant moins timides, versent vers des spectres très ouverts avant que surgisse le diable de Tim Berne, d’une volubilité sans entrave, servi encore une fois par un orchestre aux sonorités prodigieuses. Mais après cette orgie, notre Tim reprend le thème, d’une manière délicate, gracile, subtile, épurée ... Colemanienne. On retrouve les accents vaguement acides d’Ornette dans l’avant dernière pièce, jouée à l’alto, avant le thème titre, une comptine jouée par un orchestre aux accents d’une fanfare par moments déréglée, par d’autres déployée avec une précision extrême. Trois superbes solos (Anna-Lena Schnabel, Morgane Carnet, Pierre Durand) pour parachever la fête, entrelacés à l’orchestre et rythmé par un Rafaël Koerner surmultiplié. 

Somptueux vous dis-je.

L'album est disponible en formats CD et numérique (pour 7€).
Et si nous écoutions Lonely Woman ?

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