Un album en 6 pistes sans titres (ear near 1, 2 etc). Signe d’une musique voulue comme suite ou vanité d’attribuer des titres pour une succession d’improvisations ? À vous de choisir.
Pour ma part, je retiens que c’est plutôt pour marquer l’unité qui sourd de la connivence entre ces deux musiciennes et qui mène à ces titres « ear near 1, 2 ... ». C’est cette proximité là, une proximité cultivée depuis plus de vingt ans, qui donne à cet album sa saveur si particulière, qui en fait son prix.
On peut y voir une forme d’ensemencement attentif, dans la durée, par la grande Joëlle, et une non moins grande attention d’Elisabeth Harnik, qui a su se saisir de cette offrande. Un ensemencement des oreilles du public aussi, des miennes en tout cas.
Elles jouent des cordes (y compris vocales) l’une sur son instrument difficile à trimbaler (la contrebasse), l’autre sur un outil intransportable (le piano).
C’est peut-être une illustration de plus de ce qui était hier encore du bruit pour la lutherie classique et qui devient aujourd’hui musique, tendresse, complicité, sensibilité, invention, en un mot « art ». Cela fait penser à la succession des tableaux d’une exposition où chaque pièce est à la fois unique et un exemple parmi d’autres des infinis potentiels encore disponibles.
Un espace de jeux (oui, au pluriel) où les couleurs d’hier, les esthétiques, sont comme absorbées, irisées, transfigurées par les sons d’aujourd’hui, la transgression ou la dissolution des genres.
Une musique à l’agressivité contenue, une force délicate, une échappée douce hors balisage, ainsi qu’une inventivité tranquille telle qu’elle se manifeste au cours des pièces.
Elles ne sont que deux, et tout votre corps vibre, résonne.
Et la musicalité de cet album, inimaginable hier, fait s’interroger sur ce que pourrait être la musique de demain.
Les notes de pochette sont de Ken Vandermark.
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