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Jazz à Paris

13 avril 2022

Duthoit, Oshima, Lebrat : Rouge (par Claude Parle)

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Ce Rouge Trio nous transporte instantanément dans l’immense Jungle du douanier Rousseau …
Et ces femmes, un peu comme Dionnées & autres Nepenthes …
émaillant de rubis les ténébreuses verdures du peintre visionnaire …

Isabelle, Darlingtonia superbe dont les chants rapteurs lient irrémédiablement coeurs & oreilles garrottés.
Plaintes gémissements sensuels, cris dont la raucité agace peau et tympans, vociférations serties de troubles languissants que syrènes eussent enviées …
Du plus profond de cette jungle, filtrés dans la masse végétale, cris de psittacidés, hululements, chuintements pépiements agacés, harmonies subtiles de syrinx inconnues, tissées, mêlées aux cordes du violoncelle, tressage inouï qui rend sourd ceux qui l’entendent et oublient tout ! …
Puis comme venant du lointain, feulements, apparitions fugitives d’inquiétants fauves d’où jaillissent comme diamants d’implacables regards.
Vocalises, cordes enliées à celles, entées du Violoncelle-Soizic, féérique ou maléfique tissage, reléguant la sage Pénélope au rang de ravaudeuse ! …
Et nous, happés dans cette toile magnifique, nous tenons, suspendus comme insectes englués de magies ! …

Puis dans cet envoutant espace, loin, très loin là-bas, comme un frémissement, un roulement orageux, quelques stridences & soudain le fracas du tonnerre; Yuko, tapie derrière sa batterie vient de frapper, l’univers entier tremble & se met à vibrer …

Alors, calés dans les soutes de ce Nostromo géant, nous franchissons d’immenses abîmes, traversons des mondes engloutis, perforons des nébuleuses inconnues aux franges de l’univers …
Hors de tout, nous dérivons sans cesse, le temps lui même semble aboli.
On ne distingue plus rien, l’agacement d’une cymbale par l’archet griffe & mords sur l’empreinte d’une voix exacerbée tandis que des ouïes du violoncelle, l’ampleur d’un chant de baleines bleues nous fait échouer aux rives de quelque planète titanesque et gazeuse …

Je ne saurais dire quand l’éveil eut lieu … Et, a t-il eu lieu ? ! …
Le miaulement d’un chat, la toux d’une spectatrice, la chute d’un corps pesant & proche ? …
Mystères …

Puis nous revoilà debouts, bière en main, dans l’attente de futurs naufrages …

C.P

* Rouge – 2021

Isabelle Duthoit, Yuko Oshima, Soizic Lebrat

Free Sonne | Collectif Musique en Friche

Vidéo "teaser"

 

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Retrouvez toutes les brèves de concert .

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2 novembre 2021

Ivo Perelman « Brass and Ivory Tales » (Fundacja Sluchaj)

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Ivo Perelman décourage toute velléité d’être à jour de tous ses enregistrements. Il y en a plus de cent (pas sûr qu’il sache exactement combien, mais quand on aime, on ne compte pas).

Il nous propose là une salve de 9 CDs en duo enregistrés au cours de 7 années. Malgré ses plus de 40 albums avec Matthew Shipp, il choisi encore le piano, et à une exception près, avec des artistes avec lesquels il n’a pas encore enregistré (joué ?). La règle veut qu’il n’y ait ni thème ni motif initial convenu, ni cadrage préalable, mais l’improvisation pure. À chacun de se préparer à sa manière pour cette exploration peu banale.

Le livret nous apprend qu’il avait toutefois déjà croisé la route de Marylin Crispell, prétexte retenu pour aborder ce coffret par cet enregistrement : je dois aussi avouer que c’est celui qui m’a le plus impressionné. Et pourtant elle « triche ». On la voit sur la pochette annoter une partition, la mine gourmande. Elle aborde le « Chapter 1 » avec une errance mélodieuse, délicate, qu’on aimerait voir explorer longuement : elle s’en écarte pourtant, en en gardant les couleurs, l’atmosphère éthérée. Ivo Perelman est comme happé. Il s’installe, fait épanouir son chant… La suite, vous l’imaginez, avec un lyrisme qui fait penser à l’épopée d’un Trane, mais avec son phrasé, ses accents propres. Un très grand moment. « Chapter 2 » explore d’autres voies, plus heurtées, plus dansantes, avec un entremêlement serré des rafales, des discours, dans des pas de deux qu’ils ont un plaisir manifeste à retrouver tout au long de cet album. À l’étonnante plasticité des séquences d’Ivo Perelman répond celle tout aussi étendue de Marylin Crispell. On imagine aisément la pianiste, en quelques touches précises, défricher, ouvrir de larges d’espaces où le saxophoniste peut s’ébrouer à l’aise et réinventer continûment son discours, ses couleurs, ses timbres, ses rythmes … durant les neuf « Chapters » de ce CD décidément addictif.

Des accords dissonants placés là pour faire éclore quelques saveurs rares, voici comment Sylvie Courvoisier débute son duo. Ivo Perelman y répond avec des timbres suaves, un discours langoureux, des notes qui glissent hors des gammes. Sur Chapter 2, c’est lui qui prend le trait, d’une manière incisive, Sylvie Courvoisier y répondant par des accords abrupts, des lignes éperdues, des notes bondissantes, des esquisses de danses. Plus loin, la pianiste va chercher des sonorités a priori impossibles à reproduire sur un sax, comme des grattements de cordes, des rafales de micro percussions  … Naturellement, Perelman s’amuse à relever le défi, quitte à en prendre le contrepied, l’encourage même à pousser le jeu plus loin. L’inventivité du toucher de Courvoisier sur diverses parties du piano semble aspirer inexorablement le sax vers des timbres, des phrases qui éblouissent. Dieu, ce qu’ils s’amusent ! Épatant !

Avec Vijay Iyer, ce sont de nouveaux paysages encore qui s’ouvrent devant nous. Pas ou peu de segments mélodiques au piano mais des guirlandes de cahots percussifs, sombres. Pas répétitives mais tourmentées, en réponse à des phrases courtes, hachées au saxophone, qui gagnent progressivement en véhémence. L’urgence s’installe alors au sein des fulgurances suraigües et des martèlements du clavier. Lors d’une accalmie relative, le sax murmure, balbutie, avant de reprendre ses circonvolutions étourdissantes. Le Chapter One est à cet égard une succession de purs moments d’hypnose, avec quelques fragrances suaves, des glissements de notes, des grondements rugueux pour évoquer Coltrane, par exemple. Dans la pièce suivante, c’est le lyrisme de grands standards bien antérieurs qui resurgit, avec des glissements hors cadre et d’amples vibratos : c’est qu’Ivo Perelman est fidèle à cette grande tradition, la parcourant toute, même lorsqu’il la chamboule. Le pianiste propose au milieu de la 3ème piste une approche purement percussive, rythmique, de faible ampleur chromatique avant d’y juxtaposer quelques clochettes, puis des lignes nostalgiques répétées, laissant se déployer l’âpreté du chant du sax. Un must ! Dans la dernière pièce, c’est l’explosion d’éclats, d’interjections, de lignes acides, une construction quasi cubiste … dont la fin abrupte nous laisse comme privé d’air.

Il y a dans ce duo, une résonance des sensibilités, des discours, et finalement une forme de combustion croisée. Le discours du sax surprend toujours en dépit de ce qu’on sait déjà de ses phrases hors norme. Le jeu de Vijay Iyer est, quant à lui,  d’une plasticité remarquable.

J’ai bien conscience qu’il faudrait de la sorte raconter chacune de ces rencontres. Avec les danses étranges de Dave Burrell, avec les ruissellements de Craig Taborn, ses notes aiguës qui tintinnabulent et qui conduisent le sax vers les grandes aventures passées. C’est qu’Ivo Perelman conçoit ses chants radicalement neufs tout en rappelant les héritages dont il est fait.

Je vous suggère d’examiner chaque duo en oubliant l’ensemble, ce coffret, cette aventure humaine sur la durée. Chacun d’eux mérite qu’on lui consacre une attention entière, qu’on n’écoute pas d’autre musique de la journée. Ivo Perelman crée des formes diverses d’attraction, de lignes de force qui le rapprochent de ses amis pianistes, qui leur fait parcourir des espaces parfois éloignés de leurs zones d’expression. C’est aussi une manière de rappeler la malléabilité d’un jazz qui l’irrigue. Ses amis se prêtent volontiers à ces osmoses, inventent, et catalysent des discours résolument neufs au sax. Une sorte de tectonique des plaques qui fait surgir de nouvelles terres avec le compagnonnage d’Aaron Park, d’Aruan Ortiz, d’Angelica Sanchez, d’Agustì Fernández, et des autres.

C’est justement un extrait du duo avec cet artiste espagnol que je vous propose d’écouter, Chapter 3 

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20 octobre 2021

When The Time Is Right : Roy Campbell, John Dikeman, Raoul Van der Weide, Peter Jacquemyn, Klaus Kugel (577 Records)

 

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C’est un album enregistré au Bimhuis d’Amsterdam en 2013. Un an plus tard, le trompettiste Roy Campbell nous quittait. Ce groupe n’a eu le temps de jouer qu’une seule fois, celle-ci.

Au delà de l’émotion, du témoignage, écoutons cet enregistrement pour ce qu’il est, un condensé d’énergie créative, et cela dès le tout début.

Les deux souffleurs propulsent d’emblée leur discours. John Dikeman nous gratifie d’un chant ample,  véhément, vibrant, lyrique, parfois éraillé voire aux limites de l’extinction de voix, dans un free débridé. Celui de Roy Campbell est fait de stridences, de salves quasi percussives ne négligeant pas les suraigüs, de vrais geysers à l’enthousiasme juvénile intact. Ils dialoguent, bousculent, propulsent un jazz à haute énergie comme pour nous rappeler que cette cavalcade musicale insensée était née sur leurs terres, qu’ils en ont été nourris de tout temps. 

Les trois européens de ce qu’il est convenu d’appeler la section rythmique, soulignent quant à eux la prise de guerre que constitue ce free. Ici, pas de piano, mais un Raoul van der Weide passant du violoncelle aux percussions, venant accentuer la pression exercée par les deux autres, aux frontières de l’asphyxie du public. C’est, en effet, une sorte d’avalanche de chocs et de cordes, déboulant sans frein, sans échappatoire possible.

Lorsque Roy Campbell laisse la parole au seul sax, Peter Jacquemyn se précipite pour  emboîter les pas de l’autre soliste, dans une fournaise de cordes pincées, avec une énergie communicative. L’archet du violoncelliste vient en effet s’y mêler avec des mouvements cinglants, qui lacèrent la frénésie du sax.  Klaus Kugel lâche ses frappes sur les cymbales, habite tout l’espace, libère ses éboulement rocailleux. 

En embuscade, la trompette piaffe d’impatience, se retient à grand peine puis prend le relai, se jette dans cette fête, faisant un grand pont entre tradition et liberté.

Les deux cordes profitent d’un relatif répit pour s’offrir un espace pour eux seuls, tumultueux, à coups d’archets, dans une danse enfiévrée, parfois ponctuée de petites percussions.

On retrouve cette fournaise section rythmique-souffleur lorsque Roy Campbell choisit le bugle. C’est alors un chant sombre, tourmenté, venant fouiller les entrailles du métal, avant le retour du sax, de ses pépiements, de ses stridulations, de ses obsessions, parfois teintées d’un vague blues cisaillé par l’archet de la basse. Les deux cordes se rejoignent pour une séquence intense, puis les suraigüs du sax reviennent, ainsi que les déferlantes des peaux, du métal, et finalement la trompette s’invite pour une grande fête éruptive avec cris, voix, sifflements, grondements, ébauches de citations, phrases exténuées … 

Le groupe a lâché tout ce qu’il avait, la fête s’achève, le public exulte. Cet enregistrement a fixé ce moment de joie incroyable dont le jazz vivant a le secret. 

L’album paraît le 22 octobre 2021. En attendant, un court extrait est disponible à l’écoute.

 

Musiciens : Roy Campbell (tp, bugle, fl), John Dikeman (sax), Raoul Van der Weide (vlc, perc), Peter Jacquemyn (b, voix), Klaus Kugel (dm)

 

577 Records [1], label basé à Brooklyn et co-fondé par Daniel Carter, célèbre ses vingts ans cette année. Il a déjà publié un précédent album avec Roy Campbell en très belle compagnie : Daniel Carter, Sabir Mateen etc [2]

 

[1] Site de 577 Records https://www.577records.com

[2] Test and Roy Campbell  https://www.577records.com/5819

 

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Roy Campbell

May 3, 2013 at Bimhuis, Amsterdam, Netherlands. Photo by Geert Vandepoele

 

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21 septembre 2021

Phil Gibbs, Dominic Lash, Jean-Michel Van Schouwburg : « Overlapping Layers »

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On apprend sur le site du label Intrication [1] que le nom de l’album est celui d’une œuvre, illustrant la pochette, d’un « peintre hongrois, Sándor Györffy, faite de bandes rectangulaires horizontales et de cercles imbriqués autour de trois couleurs … une métaphore imagée des trois courants sonores individuels au sein d’un trio guitare - contrebasse – voix, complètement improvisé. ». La curiosité pousse à savoir ce que peut bien signifier la suite du titre, « Síkeltolódás » : tout bonnement « changement d’avion » en hongrois selon Google. Abîme de réflexions en perspective. 

On ne sait si c’est l’œuvre elle même ou le titre qui a d’abord retenu l’attention de Jean-Michel Van Schouwburg. On sait qu’il aime jouer avec les mots, leur sonorité ou les télescopages. Il propose par exemple de retarder les arriérés, de tacher les nuages, d’imaginer un détroit sans ferry et d’autres titres encore comme tremplin à l’imaginaire. Ce tropisme est comme souligné par le texte collage du CD dû à Adam Bohman.

Il est accompagné de deux cordes : une guitare électrique et une basse. 

Au début de « Beaver’s steres », Phil Gibbs [2] fait sonner sa guitare un peu à la manière d’une kora , les deux mains pinçant les cordes, dans une sorte de tourbillon hypnotique, puis semble oublier l’électricité pour des accords métalliques dissonants, dans une série d’échanges amusés avec le chanteur. Il continue tout l’album durant à tournoyer entre mitrailles électriques, dissonances métalliques, quasi kora, vibratos amples et autres inventions de son cru dans une sorte de jubilation joyeuse.

Cordes obligent, la basse de Dominic Lash [3] est souvent à proximité de la guitare, nous forçant à aiguiser notre écoute. Il y ajoute de grands coups d’archets, des percussions sur les cordes, le bois. Parfois il glisse quelques effluves fugaces d’un blues lointain. Les deux instruments à cordes s’offrent par moments des duos saisissants, mais encore une fois, c’est l’interaction avec le chanteur qui semble dominer. La basse provoque, accompagne, relance. Elle aussi s’amuse. 

Le plus souvent, en effet, les cordes mettent au centre de leurs ébats le chant de Jean-Michel Van Schouwburg [4]. Ce dernier nous surprend par l’extraordinaire plasticité de sa voix, par l’impermanence de ses registres. Il ne s’installe pas, il virevolte avec humour, tournoie autour de ses deux amis. Par moments, il semble évoquer un opéra grandiloquent, inconnu bien évidemment, pour partir aussitôt vers des murmures qui deviennent miaulements, vibratos, grondements, bavardages, déclaration péremptoires mais indistincts, babillages, éclats … Les mots ne suffisent plus.

Cet album est un moment de plaisirs, une rencontre ludique. Il nous rappelle que le chanteur, bien que belge, fait aussi partie de la mouvance des improvisateurs britanniques, de cette scène particulièrement innovante. 

 

[1] Overlapping Layers sur le site du label Intrication https://labelintrication.wixsite.com/label/overlapping-layers

[2]  Quelques mots à propos de Phil Gibbs https://www.freejazzblog.org/2017/02/philip-gibbs.html?m=1

Peut-être écouter un précédent enregistrement en duo avec le chanteur https://orynx.bandcamp.com/album/stringing-the-bridge-over-the-air

[3] Biographie de Dominic Lash http://dominiclash.blogspot.com/p/dominic-lash_5.html?m=0

[4] Jean-Michel van Schouwburg : entretien https://www.citizenjazz.com/Jean-Michel-Van-Schouwburg.html

Et son site aux chroniques très fouillées https://orynx-improvandsounds.blogspot.com/?m=1

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16 septembre 2021

Tiri Carreras solo « Élan vital » (Petit Label 2021)

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Plutôt que de subir certaines des conséquences de la pandémie, certains y trouvent l’occasion d’un certain renouveau. Le batteur Tiri Carreras est de ceux là.

Il a choisi l’exercice un peu périlleux du solo de batterie. Le solo, c’est le nu intégral : pas d’autre musicien pour bousculer, ouvrir de nouvelles voies, entamer un dialogue, baliser l’espace; pas de public non plus, et donc pas d’interaction. 

Tiri Carreras a choisi de musarder aux limites de ses instruments, de fouiller son imaginaire. Il laisse une large place aux frottements d’un archet, de doigts, de cymbales, et de tout ce qu’il trouve à sa portée, y mêlant des rebonds, des vibrations, des micro percussions, des quasi roulements. On ne sait s’il fait ou non appel à des transformations électroniques, mais on reconnaît mal  la batterie, y compris la sienne lorsqu’il partageait la scène avec des amis. Un peu à l’image d’un Sonny Rollins s’imposant une introspection devenue célèbre, « The Bridge », Tiri Carreras se présente à nous à la suite d’une ascèse similaire, comme après une mue.

La surprise est là, le saisissement parfois aussi. Il sait fouiller les résonances, les frottements, les grondements de ses fûts, les grincements. Ses mouvements, ses vagues, sont comme des respirations lentes, profondes, qui viennent rythmer les nôtres.

La pièce la plus longue, « TranSimmenSe », débute sur des clochettes, puis des résonances de bois, de verre, de métal … on ne sait tant il cultive l’incertitude. C’est peut-être la pièce où les frappes, les chocs sont le plus présents dans une sorte de gamelan abstrait mâtiné de stridences, de brouillards métalliques, de feulements, de brisures, de crépitements, de vibrations vite étouffées, d’agrégats complexes. Un flux inexorable aux multiples facettes.

Tiri Carreras vient en ami toquer aux portes de votre imaginaire. Il sait faire émerger un paysage de chaos qui surprend, séduit, fait rêver, dériver, qui captive. 

Allons-y tout « SchuSs »

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13 septembre 2021

Jim Baker, Bernard Santacruz, Samuel Silvant : on how many surprising things did not this single crime depend ?

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Un titre d’album à rallonges et des noms de pistes comme des fragments d’un discours, cela peut surprendre, et conduire à fouiller. Il s’agit d’un extrait de « L’esprit des lois » de Montesquieu. 

«L’histoire de Constantinople nous apprend, que sur une révélation qu’avait eue un évêque, qu’un miracle avait cessé à cause de la magie d’un particulier, lui et son fils furent condamnés à mort. » [1]. À vous de poursuivre la réflexion. C’est une plongée dans les temps anciens à la lumière des temps présents, avec Montesquieu comme fanal.

On retrouve cet effet de miroir au plan musical, avec comme marqueur, le recours au piano par Jim Baker. Sur les pièces impaires, nous replongeons dans les chatoiements de merveilles d’autrefois, celles du trio canonique piano-basse-batterie sublimées par certains.  Paul Bley est parfois cité. Mais pourquoi est-ce Bill Evans qui me vient à l’esprit ? Peut-être pour le rôle de la basse, peut-être aussi en raison du titre de la dernière pièce, « [solar] ».

La magie opère encore à plus d’un demi siècle de distance. Le clavier pudique ou tressant des guirlandes délicates, les balais qui caressent, les promenades sur les peaux, ou les roulements qui apportent le « pain » cher à Art Blakey, la basse ronde et profonde : c’est une plongée nostalgique dans la séduction mélodique immédiate, dans les couleurs, sur les crêtes sensibles que seul le jazz d’alors pouvait exhiber. La basse alterne ponctuations et jeu soliste, en rupture avec les pratiques antérieures de l’époque. 

Mais rien n’est simple, tout se complique, disait un philosophe du siècle passé [2]. C’est que la 3ème pièce, « qu’elle fut véritable », s’ouvre avec un Bernard Santacruz omniprésent, diffusant des fragrances sombres et percussives d’aujourd’hui. Une sorte d’entre deux cultivé aussi par les frappes discontinues, chaotiques de Samuel Silvant, le piano apportant des gouttelettes de lumière avant de circonvenir la basse. Savoureux.

Sur les pièces paires, le clavier électronique (ARP 2600) apporte ses brouillards, ses convulsions, ses émergences contrariées, des atmosphères bien étranges aux regards d’alors. Les baguettes cliquettent, musardent, les cymbales griffent d’une manière erratique, la basse ronfle, frissonne, sort de toute métrique, déploie des résonances ou des lignes acides. « qu’il y eu de la magie » s’amuse de ce pied de nez.

Ainsi, c’est un jeu quasi cinématographique de champ-contrechamp, un changement de focale destiné à nous faire savourer les splendeurs d’alors et celles en devenir, plus actuelles, lorsque nos oreilles auront progressé dans leur apprentissage (mais c’est déjà bien avancé), les permanences et les ruptures, sans exclusive. Un délicieux ping pong esthétique.  Album paru chez Juju Works.

Peu d’extraits en ligne, deux en fait, une pour chacune des facettes. Optons pour « que la magie pût renverser la religion ». Tout un programme !

 

[1] Montesquieu L’esprit des lois https://fr.wikisource.org/wiki/Esprit_des_lois_(1777)%2FL12%2FC5

« De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendait-il pas ? Qu’il ne soit pas rare qu’il y ait des révélations ; que l’évêque en ait eu une ; qu’elle fût véritable ; qu’il y eût un miracle ; que ce miracle eût cessé ; qu’il y eût de la magie ; que la magie pût renverser la religion ; que ce particulier fût magicien ». 

C’est l’engrenage d’un procès fou, conduisant à un double crime. Mais toute la page mérite lecture. 

[2] Sempé

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9 septembre 2021

Lao Dan, Damon Smith, Luther Gray : live in Boston (2020)

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Lao Dan est un souffleur d’origine chinoise, faisant aujourd’hui carrière aux USA. Il a été cité deux fois sur ce blog [1], loué pour une sorte de « déraison sous contrôle ». Il est très expressif, généreux, impétueux, à l’aise avec des sons acides flirtant avec le suraigu. On le retrouve ici doté d’un sax alto et d’un suona. Ce dernier est un court instrument chinois à double anche. Wikipedia vous en dira davantage [2]. Dans la première partie de l’extrait proposé, cet instrument libère chez lui un flot tumultueux, irrépressible.

Il est aidé en cela par un Damon Smith [3] impressionnant aux cordes pincées, aidé en cela par la sonorisation de la scène, et plus encore lors d’une phase en duo avec la batterie, lorsqu’il lâche la bride à son archet, lorsqu’il le fait dialoguer avec les cordes pincées.

On pourra parcourir la discographie de Luther Gray sur Discogs [4], et noter que sur les 12 albums réferencés, 5 le sont avec Joe Morris. Ici, il déploie un « tapis de frappes », pour une bonne part sur les cymbales, augmentant si besoin était le sentiment que rien ne pourrait arrêter ces déferlantes.

Une très beau moment, certes un peu court, mais suffisant je crois pour donner envie d’en écouter davantage de la part de chacun d’eux. 

 

[1] Lao Dan sur Jazzaparis :

Saxophone Anatomy http://jazzaparis.canalblog.com/archives/2018/02/19/36145397.html

Playlist 21-2, en 4tet avec Paul Flaherty http://jazzaparis.canalblog.com/archives/2021/01/22/38753256.html

[2] Suona sur Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Suona

[3] Discographie de Damon Smith sur Discogs, avec près de 80 entrées : https://www.discogs.com/fr/artist/941095-Damon-Smith

[4] Luther Gray sur Discogs https://www.discogs.com/fr/artist/566042-Luther-Gray

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6 septembre 2021

Choi Sun Bae 4tet « Arirang Fantasy » (No Business Records)

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Voici une bombe à fragmentation assemblée en extrême orient, par deux coréens et deux japonais. C’est un quartette réuni par Choi Sun Bae, trompettiste qu’on a pu écouter avec Itaru Oki dans le magnifique « Kami Fusen » [1], album publié par le même label No Business Records, à suivre assurément.

Une musique libérée de toute bonne manière, un Free intégral, sans référence à la mère patrie, la great Black music, sans thème ni pulsation régulière, fouillant les tripes des matières sonores, et pour qui le mot « urgence » semble être fait. 

Il faut dire que cette petite formation est menée par un fou des sons hors de tout souci de joliesse, de mélodie. Chaque phrase propulse des salves tranchantes, qui laissent apparaître les secrets intimes des textures. Des lacérations, des grincements éjectés par un souffle qui donne tout ce qu’il a. Quelques moments de relative accalmie permettent des grommellements, des murmures éraillés, tout un vocabulaire hors de l’académie.  

Cette musique convulsive sait cependant être lyrique, proposer des bribes de quasi ballades qui nous plongent dans les circonvolutions de l’affect du trompettiste. 

Ce versant est particulièrement présent dans la première moitié de « Remember Bird », un hommage  aiguisé, sensible rendu par les deux souffleurs. Une sorte d’élégie en duo, loin du jeu craquelé, nerveux, torturé de Jinji Hirose tel qu’on peut l’entendre, par exemple, en solo [2]. Ensuite, le dialogue se crispe. Il est alors fait de brèves salves, de phrases courtes à la limite de l’interjection, dans une sorte d’ivresse où chaque échange permet de se libérer encore davantage.

Sur le site de NoBusiness Records, Motoharu Yoshizawa est présenté comme seconde tête d’affiche. Rappelons que le contrebassiste est l’un des acteurs clés de l’émergence d’un free nippon. Il a joué avec tous les acteurs de cette explosion du tournant des années 70, ainsi qu’avec des acteurs majeurs occidentaux. Ici, il laisse son instrument de prédilection pour une basse électrique verticale qu’il sollicite souvent à l’archet. Dans une étrange danse qu’il initie avec la trompette dans « Blue Sky », il rappelle quel formidable créateur il est, ouvrant des abysses, faisant trembler les cordes, le bois … et notre corps, stimulant radicalement notre imaginaire.

Enfin, l’autre musicien coréen est le batteur Kim Dae Hwan. Son jeu est fait de frappes discontinues, parfois de martèlements qui font songer à ceux sur un taiko, sorte de gros tambour japonais. Il s’offre aussi un pièce en solo, « The Stream Of Time ». Il a déjà joué avec le bassiste, en particulier dans l’album paru chez ChapChap [3]. Ici il est en totale osmose avec le trompettiste : peut-être la fréquentation de mêmes scènes.

C’est un album produit par l’infatigable patron de ChapChap, Takeo Suetomi. 

Nobusiness Records publie ici un concert de 1998, une musique éruptive, et continue ainsi de nous présenter ce jazz d’extrême-orient radical, effervescent, plein de sève. 

Je vous suggère l’écoute de la dernière pièce, la seule réunissant les quatre musiciens. 

Choi Sun Bae (tp), Junji Hirose (ts,ss), Motoharu Yoshizawa (electric vertical five-strings bass),  Kim Dae Hwan (perc)

 

[1] Chronique de Kami Fusen http://jazzaparis.canalblog.com/archives/2019/11/07/37749152.html

[2] Jinji Hirose https://youtu.be/AUT8-atwfyk

[3] Okidoki : Motoharu Yoshizawa avec Barre Phillips et Kim Dae Hwan. https://motoharuyoshizawa.bandcamp.com

 

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2 septembre 2021

Circle Round : Noël Akchoté, Brad Jones

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Vous prendriez bien encore un peu de blues ? Surtout s’il est décalé au possible et assorti d’une sorte d’effet retard obtenu avec les effets spéciaux. Deux Noël Akchoté pour le prix d’un afin de mieux savourer des accents d’antan revisités, agrémentés de zestes d’autres effets électroniques, et servis avec des attaques dont il a le secret. 

Ce guitariste avoue des goûts très éclectiques, nous invitant à des géographies, des esthétiques et des temporalités très diverses. Contrairement à l’adage, il embrasse large et étreint bien, avec tout de même des prises jack profondément branchées dans le jazz. 

Et pour illustrer ce tropisme, cet album de 2017 parmi ses nombreuses collaborations avec le bassiste Brad Jones. https://en.wikipedia.org/wiki/Brad_Jones_(bassist)

On les retrouve en duo pour « Toi-même » en 2008 ainsi qu’au sein du Big Four (superbe quartette avec Max Nagl et Steven Bernstein de 2002 à 2010) pour trois albums. 

Ici le blues est comme transfiguré. La basse n’assure par moments qu’une esquisse de ligne, quelques notes discontinues, parfois même juste des ponctuations. Et pourtant, la pulsation est là, certes avec des trous ça et là. À d’autres moments, elle prend le lead, l’ascendant mélodique. 

La guitare égraine parfois juste quelques notes et laisse entr’apercevoir un chant. Mais elle semble se régaler des accents du Sud profond, bien arrosés de traits acidulés, de brouillards ou d’apnées électroniques, pour de belles bal(l)ades … parsemées de brisures. Une alchimie savante entre avant garde exigeante et tradition  populaire du siècle dernier. 

Mais rien n’est simple, tout se complique avec ces deux talents. À preuve un début, « Ida », où un certain blues vient chatouiller une nostalgie bien enfouie, et une fin, « Round Circle » (l’inverse du titre de l’album), dont les émergences contrariées, les convulsions font douter. 

Je vous suggère donc pour commencer l’écoute de Ida, vous laissant le soin de parcourir le reste jusqu’à cette surprenante dernière piste. 

 

À l’occasion, pensez à acquérir la totalité de la discographie numérique de Noël Akchoté sur Bandcamp, pour moins de 30€ !!! Ce serait ballot de s’en priver. 

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30 août 2021

L’amour : Catherine Jauniaux, Jean-Sébastien Mariage, Xavier Charles (AYLCD - 168)

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Trois improvisateurs rendent hommage au roman de Marguerite Duras, L’amour. On trouvera sur le site de l’auteure une présentation dudit roman. 

https://www.marguerite-duras.com/L-amour.php

Une invitation à le relire ou à vous le procurer.

Mais ici, il ne s’agit que de courts extraits sertis dans la musique du trio. Inutile donc de chercher un fil narratif, lui-même éclaté dans le livre. Le choix de ces extraits fait d’ailleurs partie du projet musical en y projetant des instants étranges où chacun des personnages est comme posé là, sans intériorité, sans passé ni devenir, un moment suspendu. 

La diction de Catherine Jauniaux participe à cette « chosification » des protagonistes, du chien, de la plage, une sorte d’écho à certaines toiles de Giorgio De Chirico (à chacun ses fantômes). L’onirisme est là, puissamment projeté par la voix de la chanteuse. Nous sommes alors saisis lorsque cette voix change de registre, quitte les mots et va fouiller les cordes vocales au risque de les rompre. Des feulements, des souffles, des pépiements, des craquements, des grincements, des trilles, des babillages, tout un éventail de vibrations qui viennent se mêler aux créations surprenantes des deux autres protagonistes, s’y fondre parfois dans une alchimie imprévisible. 

La clarinette de Xavier Charles participe à cette cinématographie immobile, à ces temps suspendus par des répétitions, par des quasi drones de notes tenues aux textures mouvantes, mêlées de souffles, par des rafales de micro-percussions, par un vocabulaire très étendu mis au service de cette scénographie, de ces moments où notre sensibilité tangue, chavire. 

Une corde qui vibre, longuement, pour initier, ponctuer le début de l’album. Jean-Sébastien Mariage annonce d’emblée son propos, se mettre en résonance avec les extraits du roman, avec le parti pris de « chosification », où l’absence d’affect des personnages vient exciter notre sensibilité. La guitare est sollicitée hors de tout usage académique, invitant parfois l’électronique aux frontières de caresses de cymbales ou de voix doucement métalliques. Il s’agit d’extraire de la guitare, de distiller des essences émotionnelles délicates. 

Notons que les encres de la pochette sont de Catherine Jauniaux, décidément partout.

Bien des talents sont réunis pour ce moment délicat aux saveurs multiples : les trois musiciens, la romancière, ceux qui ont rendu les choses possible … et votre imaginaire. La magie n’est là qu’avec vous, qu’avec votre écoute. Il vous faut mériter cette musique, ces mots, ces images. Il y va de ces instants de plaisir intense que certains savent vous offrir, en particulier ce trio.

 

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